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  • La succession des rimes

     

    C'est la règle de l'alternance, et c'est là que l'on comprend la différence à faire entre les rimes masculines et les rimes féminines. En effet, un texte construit sur une base unique de rimes féminines ou masculines identiques donne un sentiment de lassitude, d'ennui. Il faut alterner les rimes entre elles, et respecter le style adopté au premier quatrain composé. 
     


    Les rimes suivies
    (appelée aussi rimes plates et rimes jumelles) 
     
    Comme le nom l'indique, elle se suivent, respectant l'alternance rimes féminines (F) et rimes masculines (M) ou inversement, et ainsi de suite :
     

    " Voilà ce qu'ont chanté les filles d'Israël, M
    Et leurs pleurs ont coulé sur l'herbe du Carmel : M
    - Jephté de Galaad a ravagé trois villes : F
    Abel ! la flamme a lui sur tes vignes fertiles ! F
    Aroër sous la cendre éteignit ses chansons, M
    Et Mennith s'est assise en pleurant ses moissons ! " M

    Alfred de Vigny, La fille de Jephté 

     

    Les rimes croisées ou alternées
     
    Interversion des rimes masculines et des rimes féminines, selon l'exemple ci-après : 

    " Par mon amour et ma constance, F
    J'avais cru fléchir ta rigueur, M
    Et le souffle de l'espérance F
    Avait pénétré mon cœur ; M
    Mais le temps, qu'en vain je prolonge, F
    M'a découvert la vérité, M
    L'espérance a fui comme un songe, F
    Et mon amour seul m'est resté ! " M

    Gérard de Nerval, Pensée de Byron

     

    Les rimes embrassées
     
    On trouve pour ce genre des rimes féminines entourées de rimes masculines, et les rimes masculines se retrouvent à leur tour entourées des rimes féminines : 

    " Deux Mulets cheminaient : l'un d'avoine chargé M
    L'autre portant l'argent de la Gabelle F
    Celui-ci, glorieux d'une charge si belle, F
    N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé... " M

    La Fontaine, Les deux mulets 

     

    Les rimes mêlées
     
    Succession libre, mais avec le principe d'alternance des rimes féminines et masculines : 

    " Nous voudrions leur transfuser de la jeunesse F
    Ou ce qui nous en reste, et nous ne pouvons plus, M
    L'esprit dolent, le cœur battant, les bras tendus, M
    Alors que chaque instant se hérisse et les blesse F
    Que leur voiler la vie avec notre tendresse. " F

    Marcel Chabot 

     

    Les rimes redoublées
     
    Cela consiste dans un texte à utiliser toujours les mêmes rimes féminines et les mêmes rimes masculines. 

    " Mon triste cœur bave à la poupe, F
    Mon cœur est plein de caporal : M
    Ils y lancent des jets de soupe, F
    Mon triste cœur bave à la poupe : F
    Sous les quolibets de la troupe F
    Qui pousse un rire général, M
    Mon triste cœur bave à la poupe, F
    Mon cœur est plein de caporal ! " F

    Arthur Rimbaud, Le cœur du pitre, extrait

     

    Autres genres de rimes
     
    Il existe bien d'autres catégories de rimes. Elles seront juste citées avec un exemple schématique, mais il faut savoir qu'elles n'ont plus véritablement d'adeptes aujourd'hui : 
     
    Rime annexée : reprise au commencement du vers suivant de façon à obtenir :

     

           Il faut que vous me donniez la force
           La force de revenir vous voir
           Vous voir en chair et en os,
           En os c'est le cri du désespoir...
           Désespoir…


    Pierre Brandao
     
    Rime enchaînée : la rime est présente dans le corps du vers, tout le long du quatrain. Le son revient comme une assonance. 
     
    Rime fraternisée ou fratrisée : c'est une variante de la rime annexée. Ce n'est pas le mot "rimeur" qui est repris, mais un autre qui lui est associé en tant que rime :

     

           Que je ne sois pas fort, admettons !
           Mais ton orgueil te dépasse !
           Et passes ton chemin, vil avorton,
           ton courroux qui me laisse de glace !

     

    Pierre Brandao
     
    Rime batelée : la rime finale se retrouve à l'hémistiche. Attention : cette rime n'est pas tolérée pour l'alexandrin, elle casse l'harmonie du poème. 
     
    Rime couronnée : la fin du vers se termine par deux mots " forçant " la rime, comme si l'écho lui était donnée :

     

           Il est rentré dans un manoir noir,
           Pour en ressortir plein de faiblesse... Laisse,
           Il faut qu'il puisse s'asseoir, soir
           Qui le voit priver d'allégresse... qu'est-ce ?

     

    Pierre Brandao
     
    Rime double couronne : c'est la même chose que la rime couronnée, sauf que l'on retrouve l'écho également à l'hémistiche ou à la césure principale du vers. 
     
    Rime empérière ou impératrice : elle reprend l'idée de la rime couronnée, mais la syllabe servant de rimes apparaît trois fois au lieu de deux. Je ne la trouve personnellement pas jolie. 
     
    Rime équivoque : il s'agit de rimes de mots divisés en deux : rimailleurs pour rimes ailleurs, la Tour Magne à Nimes pour la tour magnanime, étonnant pour et tonnant, rêvassez pour rêve assez, etc... 
     
    Rime senée : Tous les mots composant le vers commencent par la même lettre. 
     
    Rime kyrielle : C'est la reprise d'un vers à la fin d'une strophe pour obtenir un effet de quatrain. 
     
    Rime rétrograde : elle n'est pas évidente à réaliser. Le but est de construire un texte dont le sens et l'harmonie ne seraient pas altérés s'il était lu de façon inversée. Je reprends l'exemple donné par Gilles Sorgel dans son traité de prosodie : 

     

    Ce texte : Pourrait être lu ainsi :
    " Triomphalement cherchez honneur et prix,
    Désolés cœurs, méchants infortunés,
    Terriblement êtes moqués et pris. "
    " Prix et honneur cherchez triomphalement,
    Infortunés méchants, cœurs désolés,
    Pris et moqués êtes terriblement. "

     

    Rime brisée (ou vers brisés, ou vers rapportés) : Le vers est divisé en deux, les deux hémistiches ne riment pas forcément entre eux mais avec les hémistiches des vers suivants ; les différentes parties pouvant présenter un sens différent de celui de l'ensemble :

     

      Que je sois roi,        Que tu sois reine,
        Que je sois proie,        Proie de ta haine,
          Tout cela n'amène qu'en moi
            Un désir extrême
          Celui qui cause un désarroi
            De dire je t'aime !

     

    Pierre Brandao

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