Le chapeau à la main il entra du pied droit Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi Ce commerçant venait de couper quelques têtes De mannequins vêtus comme il faut qu’on se vête
La foule en tous les sens remuait en mêlant Des ombres sans amour qui se traînaient par terre Et des mains vers le ciel plein de lacs de lumière S’envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs
Mon bateau partira demain pour l’Amérique Et je ne reviendrai jamais Avec l’argent gagné dans les prairies lyriques Guider mon ombre aveugle en ces rues que j’aimais
Car revenir c’est bon pour un soldat des Indes Les boursiers ont vendu tous mes crachats d’or fin Mais habillé de neuf je veux dormir enfin Sous des arbres pleins d’oiseaux muets et de singes
Les mannequins pour lui s’étant déshabillés Battirent leurs habits puis les lui essayèrent Le vêtement d’un lord mort sans avoir payé Au rabais l’habilla comme un millionnaire
Au-dehors les années Regardaient la vitrine Les mannequins victimes Et passaient enchaînées
Intercalées dans l’an c’étaient les journées veuves Les vendredis sanglants et lents d’enterrements De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent Quand la femme du diable a battu son amant
Puis dans un port d’automne aux feuilles indécises Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi Sur le pont du vaisseau il posa sa valise Et s’assit
Les vents de l’Océan en soufflant leurs menaces Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses Et d’autres en pleurant s’étaient agenouillés
Il regarda longtemps les rives qui moururent Seuls des bateaux d’enfant tremblaient à l’horizon Un tout petit bouquet flottant à l’aventure Couvrit l’Océan d’une immense floraison
Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire Jouer dans d’autres mers parmi tous les dauphins Et l’on tissait dans sa mémoire Une tapisserie sans fin Qui figurait son histoire
Mais pour noyer changées en poux Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent Il se maria comme un doge Aux cris d’une sirène moderne sans époux
Gonfle-toi vers la nuit Ô Mer Les yeux des squales Jusqu’à l’aube ont guetté de loin avidement Des cadavres de jours rongés par les étoiles Parmi le bruit des flots et les derniers serments
Nous étions, ce soir-là, sous un chêne superbe (Un chêne qui n’était peut-être qu’un tilleul) Et j’avais, pour me mettre à vos genoux dans l’herbe, Laissé mon rocking-chair se balancer tout seul.
Blonde comme on ne l’est que dans les magazines Vous imprimiez au vôtre un rythme de canot ; Un bouvreuil sifflotait dans les branches voisines (Un bouvreuil qui n’était peut-être qu’un linot).
D’un orchestre lointain arrivait un andante (Andante qui n’était peut-être qu’un flon-flon) Et le grand geste vert d’une branche pendante Semblait, dans l’air du soir, jouer du violon.
Tout le ciel n’était plus qu’une large chamarre, Et l’on voyait au loin, dans l’or clair d’un étang (D’un étang qui n’était peut-être qu’une mare) Des reflets d’arbres bleus descendre en tremblotant.
Et tandis qu’un espoir ouvrait en moi des ailes (Un espoir qui n’était peut-être qu’un désir), Votre balancement m’éventait de dentelles Que mes doigts au passage essayaient de saisir.
Votre chapeau de paille agitait sa guirlande Et votre col, d’un point de Gênes merveilleux (De Gênes qui n’était peut-être que d’Irlande), Se soulevait parfois jusqu’à voiler vos yeux.
Noir comme un gros pâté sur la marge d’un texte Tomba sur votre robe un insecte, et la peur (Une peur qui n’était peut-être qu’un prétexte) Vous serra contre moi. - Cher insecte grimpeur !
L’ombre nous fit glisser aux chères confidences ; Et dans votre grand œil plus tendre et plus hagard J’apercevais une âme aux profondes nuances (Une âme qui n’était peut-être qu’un regard).
« Ô Metz, mon berceau fatidique, Metz, violée et plus pudique Et plus pucelle que jamais ! Ô ville où riait mon enfance, Ô citadelle sans défense Qu’un chef que la honte devance, Ô mère auguste que j’aimais.
Du moins quelles nobles batailles, Quel sang pur pour les funérailles Non de ton honneur, Dieu merci ! Mais de ta vieille indépendance, Que de généreuse imprudence, A ta chute quel deuil intense, Ô Metz, dans ce pays transi !
Or donc, il serait des poètes Méconnaissant ces sombres fêtes Au point d’en rire et d’en railler ! Il serait des amis sincères Du peuple accablé de misères Qui devant ces ruines fières Lui conseilleraient d’oublier !
Metz aux campagnes magnifiques, Rivière aux ondes prolifiques, Coteaux boisés, vignes de feu, Cathédrale tout en volute, Où le vent chante sur le flûte, Et qui lui répond par la Mute, Cette grosse voix du bon Dieu !
Metz, depuis l’instant exécrable Où ce Borusse misérable Sur toi planta son drapeau noir Et blanc et que sinistre ! telle Une épouvantable hirondelle, Du moins, ah ! tu restes fidèle A notre amour, à notre espoir !
Patiente encor, bonne ville : On pense à toi. Reste tranquille. On pense à toi, rien ne se perd Ici des hauts pensers de gloire Et des revanches de l’histoire Et des sautes de la victoire. Médite à l’ombre de Fabert.
Patiente, ma belle ville : Nous serons mille contre mille, Non plus un contre cent, bientôt ! A l’ombre, où maint éclair se croise, De Ney, dès lors âpre et narquoise, Forçant la porte Serpenoise, Nous ne dirons plus : ils sont trop !
Nous chasserons l’atroce engeance Et ce sera notre vengeance De voir jusqu’aux petits enfants Dont ils voulaient – bêtise infâme ! – Nous prendre la chair avec l’âme, Sourire alors que l’on acclame Nos drapeaux encore triomphants !
Ô temps prochains, ô jours que compte Éperdument dans cette honte Où se révoltent nos fiertés, Heures que suppute le culte Qu’on te voue, ô ma Metz qu’insulte Ce lourd soldat, pédant, inculte, Temps, jours, heures, sonnez, tintez !
Mute, joins à la générale Ton tocsin, rumeur sépulcrale, Prophétise à ces lourds bandits Leur déroute absolue, entière Bien au delà de la frontière, Que suivra la volée altière Des ‘Te Deum’ enfin redits ! »
Tu croîs dans ma Provence, ô divine Immortelle. L'hiver, sur les coteaux que le flot bleu dentèle, On abrite tes plants comme on cache un trésor ; Tes tiges en avril jaillissent sur la touffe, Et quand les blés sont mûrs, aux mois où l'on étouffe, Ta plante grise érige en bouquets tes fleurs d'or.
Tous les abandonnés, fils, maîtresses ou mères, Vont, croyant au retour des bonheurs éphémères, Dédier tes bouquets à de chers endormis ; On te connaît au loin, mais tressée en couronne, Non pas quand notre été de ses feux t'environne, Ou qu'au soupir des nuits de printemps tu frémis.
C'est pourquoi nul ne sait ce qui te donne une âme, Ni combien notre ciel t'a versé de sa flamme, Pour que, cueillie un jour, tu dures longuement ; Ils ignorent d'où vient l'or vif de ta corolle, Et nul d'entre eux ne sait, Immortelle, ô symbole, Quel dur soleil a fait ton doux rayonnement.
Il faut que, dépassant de haut tes feuilles grises, Tes tiges, tous les ans, par les étés sans brises, Se dressent vers l'azur où le soleil se fond ; Il faut qu'autour de toi l'ombre soit inconnue, Et que, seule, au flanc sec de la colline nue, Tu boives tout le feu d'un sol roux et profond.
Le soleil redouté fait ta gloire et ta joie ; Ta tige, qui durcit, se rompt quand on la ploie, Car en place de sève y court un feu subtil ; Les fleurs qui meurent tôt ont besoin d'une eau fraîche ; Toi, tu ris au soleil de juin qui les dessèche, Tu vis de ce qui fait mourir les fleurs d'avril.
Pourquoi ? Comment ? Voilà le rêve et le mystère ; D'autres fleurs, comme toi, dans l'air et dans la terre Aspirent le soleil et l'ardeur de l'été ; Mais nulle autre ne fait ce travail dans sa trame, Et n'a ce don sublime, envié de mon âme, De faire d'un rayon son immortalité.
Fleur divine, la pluie ou l'ombre t'est fatale ; Il te faut un pays qui plaise à la cigale, Et de tièdes recoins fermés au vent du Nord ; Car l'immortalité te vient de la lumière Qui se conserve en toi dans sa vertu première : C'est le soleil en toi qui fait mentir la mort.
Ce que je cherche en toi ce n’est pas de l’ivresse, Ni l’assouvissement d’un désir insensé ; Ma main na pas de feu lorsque ta main la presse, Mon front ne brûle pas où ton souffle a passé.
Mes yeux qui n’ont des tiens point cherché la caresse, Ignorent si l’azur en est clair ou foncé ; Mais près de toi mon cœur a la douce paresse Et l’envahissement du souhait exaucé.
D’autres voudront sans doute essayer de le lire Ce livre de ton cœur que je n’ai pas ouvert, Tu pourrais leur donner l’extase ou le délire.
Tu les entraîneras dans quelque sentier vert, Mais j’aime mieux encor, sous ton calme sourire, Rêver au paradis sans l’avoir découvert.
Je porte des douleurs plus vieilles que moi-même, Mon cœur est encombré de chagrins hérités, Et je sens quelquefois mon front devenir blême De remords que je sais n'avoir pas mérités ;
L'angoisse, les regrets, les tares, les faiblesses De ceux d'où nous sortons roulent à travers nous, Pour passer, augmentés de nos propres détresses, Par le cœur des enfants bercés sur nos genoux ;
Un fleuve plus chargé de hontes et d'alarmes Descend en emportant dans ses érosions Des opprobres nouveaux et de nouvelles larmes, Et grossit à travers les générations ;
Jusqu'à ce qu'entraînant toujours plus de misère, Il charrie, en ses flots sans cesse plus malsains, Un poison si puissant de mal héréditaire, Qu'il tue, en y passant, les derniers cœurs humains ;
Et qu'épuisant enfin dans des êtres étranges Son onde d'amertume en un dernier effort, Il aille déposer ses limons et ses fanges Dans l'estuaire immense et morne de la Mort.
Étoile de la mer voici la lourde nappe Et la profonde houle et l’océan des blés Et la mouvante écume et nos greniers comblés, Voici votre regard sur cette immense chape
Et voici votre voix sur cette lourde plaine Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés, Voici le long de nous nos poings désassemblés Et notre lassitude et notre force pleine.
Étoile du matin, inaccessible reine, Voici que nous marchons vers votre illustre cour, Et voici le plateau de notre pauvre amour, Et voici l’océan de notre immense peine.
Un sanglot rôde et court par-delà l’horizon. À peine quelques toits font comme un archipel. Du vieux clocher retombe une sorte d’appel. L’épaisse église semble une basse maison.
Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale. De loin en loin surnage un chapelet de meules, Rondes comme des tours, opulentes et seules Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.
Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux. Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux Un reposoir sans fin pour l’âme solitaire.
Vous nous voyez marcher sur cette route droite, Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents. Sur ce large éventail ouvert à tous les vents La route nationale est notre porte étroite.
Nous allons devant nous, les mains le long des poches, Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours, D’un pas toujours égal, sans hâte ni recours, Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.
Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille. Nous n’avançons jamais que d’un pas à la fois. Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois, Et toute leur séquelle et toute leur volaille
Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille Ont appris ce que c’est que d’être familiers, Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers, Vers un dernier carré le soir d’une bataille.
Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau, Dans le recourbement de notre blonde Loire, Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire N’est là que pour baiser votre auguste manteau.
Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau, Dans l’antique Orléans sévère et sérieuse, Et la Loire coulante et souvent limoneuse N’est là que pour laver les pieds de ce coteau.
Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans Le portail de la ferme et les durs paysans Et l’enclos dans le bourg et la bêche et la fosse.
Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate Et nous avons connu dès nos premiers regrets Ce que peut recéler de désespoirs secrets Un soleil qui descend dans un ciel écarlate
Et qui se couche au ras d’un sol inévitable Dur comme une justice, égal comme une barre, Juste comme une loi, fermé comme une mare, Ouvert comme un beau socle et plan comme une table.
Un homme de chez nous, de la glèbe féconde A fait jaillir ici d’un seul enlèvement, Et d’une seule source et d’un seul portement, Vers votre assomption la flèche unique au monde.
Tour de David voici votre tour beauceronne. C’est l’épi le plus dur qui soit jamais monté Vers un ciel de clémence et de sérénité, Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.
Un homme de chez nous a fait ici jaillir, Depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix, Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois, La flèche irréprochable et qui ne peut faillir.
La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.
Quand on est heureux, on n’a pas d’histoire.
On se cache, on s’aime à l’ombre, tout bas ;
Rien de glorieux, pas de fait notoire ;
Le monde oublié ne vous connaît pas.
Si quelqu’un pourtant, avec un sourire.
Dit, en vous voyant fuir l’éclat du jour :
«Ce sont des hiboux !» eh bien, laissez dire…
Ce sont des oiseaux éblouis d’amour.
Quand le baiser fait la parole vaine,
On s’en va, muets, dans les grands prés verts.
— Loin de mon bonheur, je fixe ma peine
Sur l’émail fragile et bleu de mes vers.
Précurseurs de l’automne, Ô fruits nés d’une terre
Ou l’art industrieux, sous ses maisons de verre,
Des soleils du midi sait feindre les chaleurs,
Allez trouver Fanny ; cette mère craintive.
À sa fille aux doux yeux, fleur débile et tardive,
Rendez la force et les couleurs.
Non qu’un péril funeste assiège son enfance ;
Mais du cœur maternel la tendre défiance
N’attend pas le danger qu’elle sait trop prévoir.
Et Fanny, qu’une fois les destins ont frappée,
Soupçonneuse et long-temps de sa perte occupée,
Redoute de loin leur pouvoir.
L’été va dissiper de si promptes alarmes.
Nous devons en naissant tous un tribut de larmes ;
Les siennes ont déjà trop satisfait aux dieux.
Sa beauté, ses vertus, ses grâces naturelles,
N’ont point des dieux sans doute, ainsi que des mortelles,
Armé le courroux envieux.
Belle bientôt comme elle, au retour d’Érigone,
L’enfant va ranimer, nourrisson de Pomone,
Ce front que de Borée un souffle avait terni.
Ô de la conserver, Cieux, faites votre étude ;
Que jamais la douleur, même l’inquiétude,
N’approchent du sein de Fanny.
Que n’est-ce encor ce temps let d’amour et de gloire,
Qui de Pollux, d’Alceste, a gardé la mémoire,
Quand un pieux échange apaisait les enfers !
Quand les trois Sœurs pouvaient n’être point inflexibles,
Et qu’au prix de ses jours, de leurs ciseaux terribles,
On rachetait des jours plus chers !
Oui, je voudrais alors qu’en effet toute prête,
La Parque, aimable enfant, vint menacer ta tête,
Pour me mettre en ta place et te sauver le jour ;
Voir ma trame rompue à la tienne enchaînée ;
Et Fanny s’avouer par moi seul fortuné
Et s’applaudir de mon amour.
Ma tombe quelque jour troublerait sa pensée.
Quelque jour, à sa fille entre ses bras pressée,
L’œil humide peut-être, en passant prés de moi :
« Celui-ci, dirait-elle, à qui je fus bien chère,
» Fut content de mourir, en songeant que ta mère
» N’aurait point à pleurer sur toi. »
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
II
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.
Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !
Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
– Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.
Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. – Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
– Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! –
Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,
Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
Déjeuner ou dîner,
Dîner ou déjeuner,
Ce n'est pas ça ma joie,
Mais c'est, sans qu'on me voie,
D'emporter mon goûter dehors.
Chic, alors !
Au fond du jardin où je sors,
A l'abri des plus belles branches,
Entre des fleurs roses et blanches,
Je mange mon pain que voilà
Et mon bâton de chocolat.
Et si je fais quelque bêtise,
Aucune voix qui dise :
"Ote ton coude !... Tiens-toi bien !...
Si tu parles, tu n'auras rien !"
personne ne me gronde.
Je me sens seul au monde
Dans l'ombre du sapin,
Seul avec l'oiseau qui ramage,
Le vent et le nuage,
Et mon chocolat et mon pain,
Seul avec l'heure qui s'attarde
Et le bon Dieu qui me regarde.
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu Adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
II
Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième
Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres
Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte
III
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec le clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à coté
On y fait couler la fontaine
IV
Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peint de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchainée
Et tour ces pauvres coeurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne
V
Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure ou tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
VI
J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison
Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison
Eh ! je sais bien qu’ils ont tous dit : vieillir est doux.
Mais je vieillis et je regrette la jeunesse,
et la joueuse de croquet, et les caresses
de sa main sur mon front posé sur ses genoux.
Quand donc viendra le temps où j’aurai cette force
de bénir, sans que j’aie de l’amertume au cœur,
des enfants respirant la sève des écorces
dans le ravin rempli d’églantières pâleurs ?
Heureux celui qui peut, dans l’enclos paysan,
à l’heure où lourdement sonnent les vêpres chaudes,
mettre dans d’autres mains les mains de ses enfants
qui se sont fiancés dans les framboises jaunes.
Ne me console pas. Cela est inutile. Si mes rêves qui étaient ma seule fortune quittent mon seuil obscur où s’accroupit la brume je saurai me résoudre et saurai ne rien dire.
Un jour, tout simplement (ne me console pas !) devant ma porte ensoleillée je m’étendrai. On dira aux enfants qu’il faut parler plus bas. Et, délaissé de ma tristesse, je mourrai.
Loin des grands rochers noirs que baise la marée,
La mer calme, la mer au murmure endormeur,
Au large, tout là-bas, lente s’est retirée,
Et son sanglot d’amour dans l’air du soir se meurt.
La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage,
Au profond de son lit de nacre inviolé
Redescend, pour dormir, loin, bien loin du rivage,
Sous le seul regard pur du doux ciel étoilé.
La mer aime le ciel : c’est pour mieux lui redire,
À l’écart, en secret, son immense tourment,
Que la fauve amoureuse, au large se retire,
Dans son lit de corail, d’ambre et de diamant.
Et la brise n’apporte à la terre jalouse,
Qu’un souffle chuchoteur, vague, délicieux :
L’âme des océans frémit comme une épouse
Sous le chaste baiser des impassibles cieux.
Tu regardais un banc de nuages descendre
Avec le paquebot orphelin vers les fièvres futures
Et de tous ces regrets de tous ces repentirs
Te souviens-tu
Vagues poissons arques fleurs surmarines
Une nuit c’était la mer
Et les fleuves s’y répandaient
Je m’en souviens je m’en souviens encore
Un soir je descendis dans une auberge triste
Auprès de Luxembourg
Dans le fond de la salle il s’envolait un Christ
Quelqu’un avait un furet
Un autre un hérisson
L’on jouait aux cartes
Et toi tu m’avais oublié
Te souviens-tu du long orphelinat des gares
Nous traversâmes des villes qui tout le jour tournaient
Et vomissaient la nuit le soleil des journées
Ô matelots ô femmes sombres et vous mes compagnons
Souvenez-vous-en
Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés
Deux matelots qui ne s’étaient jamais parlé
Le plus jeune en mourant tomba sur le côté
Ô vous chers compagnons
Sonneries électriques des gares chant des moissonneuses
Traîneau d’un boucher régiment des rues sans nombre
Cavalerie des ponts nuits livides de l’alcool
Les villes que j’ai vues vivaient comme des folles
Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des paysages
Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres
J’écoutais cette nuit au déclin de l’été
Un oiseau langoureux et toujours irrité
Et le bruit éternel d’un fleuve large et sombre
Mais tandis que mourants roulaient vers l’estuaire
Tous les regards tous les regards de tous les yeux
Les bords étaient déserts herbus silencieux
Et la montagne à l’autre rive était très claire
Alors sans bruit sans qu’on pût voir rien de vivant
Contre le mont passèrent des ombres vivaces
De profil ou soudain tournant leurs vagues faces
Et tenant l’ombre de leurs lances en avant
Les ombres contre le mont perpendiculaire
Grandissaient ou parfois s’abaissaient brusquement
Et ces ombres barbues pleuraient humainement
En glissant pas à pas sur la montagne claire
Qui donc reconnais-tu sur ces vieilles photographies
Te souviens-tu du jour où une abeille tomba dans le feu
C’était tu t’en souviens à la fin de l’été
Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés
L’aîné portait au cou une chaîne de fer
Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse
" Car ou soies porteur de bulles,
Pipeur ou hasardeur de dés,
Tailleur de faux coins et te brûles
Comme ceux qui sont échaudés,
Traîtres parjurs, de foi vidés ;
Soies larron, ravis ou pilles :
Où s'en va l'acquêt, que cuidez ?
Tout aux tavernes et aux filles.
" Rime, raille, cymbale, luthes,
Comme fol feintif, éhontés ;
Farce, brouille, joue des flûtes ;
Fais, ès villes et ès cités,
Farces, jeux et moralités,
Gagne au berlan, au glic, aux quilles
Aussi bien va, or écoutez !
Tout aux tavernes et aux filles.
" De tels ordures te recules,
Laboure, fauche champs et prés,
Sers et panse chevaux et mules,
S'aucunement tu n'es lettrés ;
Assez auras, se prends en grés.
Mais, se chanvre broyes ou tilles,
Ne tends ton labour qu'as ouvrés
Tout aux tavernes et aux filles ?
" Chausses, pourpoints aiguilletés,
Robes, et toutes vos drapilles,
Ains que vous fassiez pis, portez
Tout aux tavernes et aux filles.
Tel que Delphes l’a vu quand, Thymos le suivant,
Il volait par le stade aux clameurs de la foule,
Tel Ladas court encor sur le socle qu’il foule
D’un pied de bronze, svelte et plus vif que le vent.
Le bras tendu, l’oeil fixe et le torse en avant,
Une sueur d’airain à son front perle et coule ;
On dirait que l’athlète a jailli hors du moule,
Tandis que le sculpteur le fondait, tout vivant.
Il palpite, il frémit d’espérance et de fièvre,
Son flanc halète, l’air qu’il fend manque à sa lèvre
Et l’effort fait saillir ses muscles de métal ;
L’irrésistible élan de la course l’entraîne
Et passant par-dessus son propre piédestal,
Vers la palme et le but il va fuir dans l’arène.
Si j’ai le droit de dire,
en français aujourd’hui,
Ma peine et mon espoir,
ma colère et ma joie
Si rien ne s’est voilé,
définitivement,
De notre rêve immense
et de notre sagesse
C’est que ces étrangers,
comme on les nomme encore,
Croyaient à la justice,
ici-bas, et concrète,
Ils avaient dans leur sang
le sang de leurs semblables
ces étrangers savaient
quelle était leur patrie.
La liberté d’un peuple
Oriente tous les peuples
Un innocent aux fers
enchaîne tous les hommes
et, qui ne se refuse à son cœur,
sait sa loi.
Il faut vaincre le gouffre
Et vaincre la vermine.
Ces étrangers d’ici
Qui choisirent le feu
Leurs portraits sur les murs
Sont vivants pour toujours.
Un soleil de mémoire
Eclaire leur beauté.
Ils ont tué pour vivre,
Ils ont crié vengeance.
Leur vie tuait la mort
Au cœur d’un miroir fixe
Le seul vœu de justice
A pour écho la vie
Et, lorsqu’on n’entendra
Que cette voix sur terre
Lorsqu’on ne tuera plus
Ils seront bien vengés ;