Posté(e) 24 janvier 2019 (modifié) Les routes tortueuses de l’existence me menèrent un jour sur les modestes flancs des monts d’Arrée. Nous étions quatre et nous déposâmes là notre insouciance pour une escale de courte durée. L’été suivant, nous n’étions plus que deux. Très vite, je me sentis à l’aise dans ce coin oublié de « l’Argoat ». Le matin, avec Emile, nous rejoignions Plougonven où nous achetions « l’ Humanité » et nous parlions chiffons rouges devant un verre de muscadet. Le dimanche, nous montions nous enivrer de vent sur la montagne Saint Michel de Braspart… Seul, je m’adonnais à des pérégrinations auditives : je me rendais vers un lieu dont le nom m’accrochait l’oreille et je lui fouillais les entrailles. Je découvris ainsi Ploumanac’h, Saint Michel en Grève ou Saint Jean du Doigt. Un jour, je partis vers Roscoff, roc auditif qui s’affiche aux vents du large. Les murs gris luisaient au soleil. Je fis lentement le tour du port, jouant avec les cordages, je remontais l’embarcadère qui déroule son avenir vers l’île de Batz, puis je déambulais dans les ruelles de la vieille ville, austère de prime abord. Passée la première intimidation je m’abandonnais sans retenue aux facéties de ses façades. Je partis à contrecœur mais mon choix était fait : je reviendrais souvent. Il en fut ainsi pendant près de dix ans… Durant les mois d’hiver, Roscoff m’habitait sans cesse… Je me remémorais les longs moments passés face à la mer. Mes pages se gonflaient alors de formes mélancoliques : Les voyages de l’océan flottent, entre le port de Roscoff et l’île de Batz, en longues oriflammes multicolores offertes aux volubiles arcanes du vent. Au-delà du temps, le flux et le reflux poursuivent, impassibles, de lentes joutes démoniaques. Les vagues dressent leur modeste col d’abbé, se signent puis retombent, contrites, dans une austérité de métronome. Spasmes liquides réglés depuis des siècles… Inlassables cadences offertes aux oreilles des cieux… Impossibles métaphores, obscures, sur l’horizon… Impalpables lunaisons… Ecluses perpétuelles… Soubresauts universels… Immuables, insondables, les passions océanes surgissent. Elles tremblent de l’échine et syncopent de la croupe. Elles s’extasient, de manière transversale, sur le grand lit aux draps verts puis elles sombrent, vaincues, dans l’abyssal oubli. A la vitesse de l’éclair, des regards se caressent, des visions se confondent, des passés se lézardent, des avenirs sourcillent ; la lente usure de la vie palpite aux appels tapageurs d’une quille volontaire. Soudain, l’océan s’ouvre, immense, devant un coureur fou. A l’instant d’après, la houle reprend son hoquet incessant. Elle transmet à l’infiniment petit les vocalises juvéniles de voiles qui se gonflent à l’exploit. Elle roule, sur les fonds, des airs de marche vive. A l’avant-scène, devant Roscoff, un voilier répète sa tirade. Il la possède si bien que l’emphase l’emporte, à syllabes abattues, vers de frénétiques bancs d’encre violette. Lentement, des chaluts accouchent de casiers frétillants. Bâbord contre tribord, les aurores langoureuses se désirent. Aux nœuds humides du crépuscule, s’enlacent les cordages épris… Grise, La vieille ville épie la jeunesse frivole. Elle observe et ne dit mot… Mystérieuse, presque noire, elle songe aux anciens maléfices. Elle implore de la mer la survie de ses fils. Elle espère à ses filles des retours de campagnes Elle pleure, par ses veuves, les folles nuits guerrières. Je vins un hiver et le jour de Noël je m’offris un cadeau toujours pelotonné près du cœur, trente ans plus tard. Dès le début d’après-midi, je m’accrochais aux hurlements d’une journée de malaise et j’arpentais les rues désertes, seul, le visage déchiré par les réprimandes du vent : La vieille ville était déserte. Au-delà des vitres de pierre grise, des familles endormies laissaient lentement glisser Noël. Dehors, la tempête trépignait. Le vent courait dans les flaques des trottoirs ; les reproches du large parvenaient par rafales ; les oreilles s’enflaient de grognements terribles ; le corps tressaillait de solides reproches. La fureur de la mer s’arrêtait à mes lèvres. Elle s’irritait dans des sermons salés ; elle se piquait de banderilles vertes ; elle s’embarquait vers des îles polaires. Au loin, dans les embruns, dans les vapeurs et la brume, un phare lançait au ciel des injures muettes. Il portait la lumière au-delà du vivant. Il prolongeait le temps au-delà de la mer. Il portait le silence au-delà du tumulte. Il prolongeait l’espoir vers les aubes fragiles. Il observait la terre ; il devinait les flots. Il flairait, du passé, des lendemains furieux ; il tirait, du présent, des vérités futures. Il jetait son amour aux hommes aveuglés. Seul, dans le vent froid, je lui offrais mes yeux. Ma peur vagabondait sur le fil de ses lames. Je songeais… Je songeais aux pas noirs sur le blanc de la neige. Je songeais au brouillard qui gomme les pensées. Je songeais au poète qui veille sous la lune. Sémaphore patient, il rit de la tempête ; il tend au naufragé son encre universelle ; il sèche de ses mots le sel sur le rivage, il souffle, par ses vers, le soleil sur les terres… Puis je fis naufrage. Je me perdis sur terre et oubliais l’Armor. Les années passèrent. Je ressuscitais par un matin clair sur une plage immense, tendrement offerte à l’avenir. Il grossit lentement dans un énorme album de souvenirs. Nous avions accueilli le plaisir du voyage. Un été, nous accostâmes du côté de Lorient. Nous découvrîmes Etel, Quiberon, Gâvres, Concarneau… Un matin, Hugues nous proposa de rejoindre Roscoff. Immédiatement, une vieille brise enfouie dans mes poches depuis longtemps se prit à siffloter sous le soleil. Des images s’agitèrent à mes yeux. Je trépignais à la simple pensée de retourner là-bas. Nous nous sommes échoués dans une vaste demeure en bord de mer qui enveloppait la vaste baie, la ville fière et l’île paisible. Je m’assis sur le muret au fond du jardin. Longtemps, j’admirais la belle. Vingt ans d’infidélité et elle m’attendait. Le bonheur me submergea. Photo Papy Adgio - Roscoff - l'embarcadère pour l'île de Batz Modifié 24 janvier 2019 par Papy Adgio 2
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