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  • Semeur d’échos
comment_197944

Ma vie de château (1)


J'ai eu, dès mon plus jeune âge, une fâcheuse inclination à rire de tout ; je n'ai jamais su ce que contenaient mes biberons qui avaient été soigneusement nettoyés au goupillon par une femme sage, du nom de Solange, mais j'ai longtemps soupçonné qu'elle mêlait à mon lait du gaz hilarant.

Ça énervait beaucoup ma tante Thérèse qui dépensait une partie de ses rentes dans un rouge-à-lèvres rouge écarlate, confectionné rien que pour elle par un formulateur de cosmétiques dont j'ai oublié le nom n'était-ce pas Gaston ? Ou Yves, peut-être bien.

Elle l'appliquait chaque matin, et c'était tout un rituel, après son thé aux airelles et ses gressins.

Une fois posée, l'infâme couche d'huile, de cire et de pigments, faisait sur ses lèvres une barrière qui n'attirait certes pas le baiser et encore moins le rire ; elle avait donc en permanence un air figé.

D'ailleurs, je l'ai su bien après, chaque lundi après-midi elle se mêlait aux statues du musée.

Elle restait sans bouger pendant plusieurs heures et les visiteurs n'ont jamais pensé une seconde qu'elle était vivante ; après la fermeture elle passait deux heures chez le conservateur pour se dégourdir les jambes et éloigner ses crampes.

Solange était plus avenante ; je crois qu'elle m'aimait bien.

Dès que je fus en âge de marcher, elle m'offrit une cape pour que je puisse rire dessous.

Elle était plutôt de bonne composition, car elle ne m'en n'a pas voulu quand j'ai découpé un de ses talons compensés avec un cutter, ce qui la fit boiter pendant plusieurs jours ; ni quand j'ai enlevé proprement de manière à ce que cela ne se vît pas, quelques pages des romans qu'elle lisait, surtout les deux dernières pour qu'elle ne sache jamais la fin.

Elle ne s'en offusquait pas, croyant que tout était incohérent et finissait en queue de poisson.

Il y avait aussi au château un majordome très marrant ; il était ventriloque et avait dans sa chambre toute une smala de marionnettes à laquelle il tenait comme à la prunelle de ses yeux et aux talons de ses chaussettes, qu'il avait bleues comme le couvre-lit de mon oncle Matthieu.

Durant les longues nuits de juin, il les sortait dans le jardin et, sur les genoux de Solange, j'écoutais sans en perdre une miette, les petites saynètes dont il nous offrait l'exclusivité.


Je ne sais pas si tout cela était bien normal.

A l'époque, il n'y avait pas d'assistante sociale et d'ailleurs je m'en moque, elle aurait pu m'offrir pire, croyant me sortir de mon univers glauque.

Le jardin entourant le château avait à lui seul bien des recoins où poussaient les coquelicots pour que je m'épanouisse ; le jardinier ne plantait que sous les fenêtres de Madame des fleurs banales mais très appréciées ; c'était un brave garçon sans manières, qui parlait peu mais observait tout et il m'avait offert un domaine où pousse la fougère et les chrysanthèmes, emblèmes de la cour japonaise.

Quant à la cuisinière, je m'en souviens comme si c'était hier, elle était venue du Finistère se perdre dans nos oranges amères après un chagrin d'amour ; dès qu'elle avait senti la lavande, elle avait tout oublié et on riait, toutes les deux, dès qu'on se croisait.

On a échangé des recettes sans que personne n'en sût rien et même Thérèse, attirée par les arômes de braises, est venue, démaquillée, partager avec nous un repas du soir.

Quelle soirée !

La plus belle, sans doute, de toute ma vie !

Et pour la première fois, j'ai vu sourire tante Thérèse, sans rouge à lèvres ; d'un commun accord , avec Solange, on a mis dans son cocktail du gaz hilarant histoire de décoincer ses chakras.

Après ça, ce fut vraiment la vie de château.

J'étais adolescente, j'ai écrit une thèse et tante Thérèse n'a plus jamais mis de rouge à lèvres.

Elle a fait des chambres d'hôtes dans le château, et tous les soirs, tous réunis dans le jardin, on rit en oubliant d'où on vient.

Quand il pleut, je me souviens ...

(joailes -) 6 juin - 22h 50


Modifié par Joailes

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  • Semeur d’échos
comment_197947

Une vie de château sans défaut, animée par une galerie de personnages hors du commun !

On attend une suite !

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  • Semeur d’échos
comment_197955
Il y a 2 heures, Joailes a écrit :

il m'avait offert un domaine où pousse la fougère et les chrysanthèmes, emblèmes de la cour japonaise

ありがとう😊arigatō @Joailes Merci…

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  • Semeur d’échos
comment_197980

@Joailes

Ma vie de château est un texte charmant et doucement satirique, qui déploie avec finesse un monde à la fois absurde et affectueux. Il séduit par son humour, son ton décalé, et sa capacité à transfigurer le quotidien en récit poétique. Toutefois, une lecture plus exigeante y verra aussi un recours trop systématique à l’anecdote burlesque, et une absence de réel conflit qui limiterait son impact narratif. C’est un texte plaisant, mais qui gagnerait en force s'il assumait davantage la complexité émotionnelle sous-jacente à ce « rire de tout ».

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  • Semeur d’échos
comment_197986

Eh bien @Marc Hiver ! Voilà un commentaire étoffé qui change un peu de tous ces hop-top auxquels tu m'avais habituée. M'en voici toute émue et je ne sais plus te dire tu.

Il y a 1 heure, Marc Hiver a écrit :

C’est un texte plaisant, mais qui gagnerait en force s'il assumait davantage la complexité émotionnelle sous-jacente à ce « rire de tout ».

Contrairement à bien des auteurs, je ne travaille pas mes textes. J'écris "comme ça vient" et ce qui vient est souvent absurde à l'extrême, j'en conviens et c'est justement ce qui m'amuse ; comment changer ma manière d'écrire puisque c'est celle qui m'a été gentiment offerte ?

Quoiqu'il en soit, merci de m'avoir lue et pour ce commentaire sincère.

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comment_197993

Pas étonnant que Thérèse ne riait pas souvent,,,,elle devait être vieille fille non ? 😂

En tout cas toi, tu devais poser de sérieux problèmes à tes profs en classe...

Je me trompe ? 🤓

NB ,) c'est le château de ta mère ou seulement de tante ?^^

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  • Semeur d’échos
comment_197995
il y a 4 minutes, Diane a écrit :

,elle devait être vieille fille non ?

eh oui ... aigrie !

il y a 4 minutes, Diane a écrit :

Je me trompe ?

Non. Certains ont démissionné, je crois.

il y a 6 minutes, Diane a écrit :

c'est le château de ta mère ou seulement de tante ?^^

C'est le château de Tante Thérèse ! ( ͡~ ͜ʖ ͡° )

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  • Semeur d’échos
comment_198112

Moi aussi le commentaire de @Marc Hiver m’a surpris, la métamorphose d’un joyeux luron en fin critique littéraire.

Ceci dit la description des personnages du château de votre enfance et de ses personnages, @Joailes , est proprement hilarante. J’ai un faible pour votre tante Thérèse.

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  • Semeur d’échos
comment_198150

Cela fera peut-être des fantômes à mourir de rire!

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  • Semeur d’échos
comment_198250
Le 09/06/2025 à 03:10, Jeep a écrit :

Moi aussi le commentaire de @Marc Hiver m’a surpris, la métamorphose d’un joyeux luron en fin critique littéraire.

à mon avis (humble) il a dû prendre du Sildénaaiguille qui, comme chacun sait, améliore la circulation scripturale vers le cerveau et permet ainsi de faire des commentaires très avisés. ( ͡~ ͜ʖ ͡° )

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  • Semeur d’échos
comment_198258

@Joailes @Jeep

Eh bien, les amis ! On n'a pas le droit d'évoluer ? Ou plutôt de se diversifier ? Dois-je me cantonner dans le rôle assigné du comique de service ( que je revendique d'ailleurs pour ne pas succomber à la dictature des ressentis éternellement ruminés ? ) La distance humoristique ( plus que le comique) ne devrait-elle pas innerver notre poésie ? Assez du ronron des commenaires où l'on se passe rhubarbe et séné ! Et hop ! Vive Dieu les poils !

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  • Auteur
  • Semeur d’échos
comment_198338
Il y a 10 heures, Marc Hiver a écrit :

Eh bien, les amis ! On n'a pas le droit d'évoluer ? Ou plutôt de se diversifier ? Dois-je me cantonner dans le rôle assigné du comique de service

Si, si ! Qui a dit le contraire ? Réveillons-nous, comme dit l'Autre !

Posté(e)
comment_198430
Le 06/06/2025 à 22:50, Joailes a écrit :

Ma vie de château (1)


J'ai eu, dès mon plus jeune âge, une fâcheuse inclination à rire de tout ; je n'ai jamais su ce que contenaient mes biberons qui avaient été soigneusement nettoyés au goupillon par une femme sage, du nom de Solange, mais j'ai longtemps soupçonné qu'elle mêlait à mon lait du gaz hilarant.

Ça énervait beaucoup ma tante Thérèse qui dépensait une partie de ses rentes dans un rouge-à-lèvres rouge écarlate, confectionné rien que pour elle par un formulateur de cosmétiques dont j'ai oublié le nom n'était-ce pas Gaston ? Ou Yves, peut-être bien.

Elle l'appliquait chaque matin, et c'était tout un rituel, après son thé aux airelles et ses gressins.

Une fois posée, l'infâme couche d'huile, de cire et de pigments, faisait sur ses lèvres une barrière qui n'attirait certes pas le baiser et encore moins le rire ; elle avait donc en permanence un air figé.

D'ailleurs, je l'ai su bien après, chaque lundi après-midi elle se mêlait aux statues du musée.

Elle restait sans bouger pendant plusieurs heures et les visiteurs n'ont jamais pensé une seconde qu'elle était vivante ; après la fermeture elle passait deux heures chez le conservateur pour se dégourdir les jambes et éloigner ses crampes.

Solange était plus avenante ; je crois qu'elle m'aimait bien.

Dès que je fus en âge de marcher, elle m'offrit une cape pour que je puisse rire dessous.

Elle était plutôt de bonne composition, car elle ne m'en n'a pas voulu quand j'ai découpé un de ses talons compensés avec un cutter, ce qui la fit boiter pendant plusieurs jours ; ni quand j'ai enlevé proprement de manière à ce que cela ne se vît pas, quelques pages des romans qu'elle lisait, surtout les deux dernières pour qu'elle ne sache jamais la fin.

Elle ne s'en offusquait pas, croyant que tout était incohérent et finissait en queue de poisson.

Il y avait aussi au château un majordome très marrant ; il était ventriloque et avait dans sa chambre toute une smala de marionnettes à laquelle il tenait comme à la prunelle de ses yeux et aux talons de ses chaussettes, qu'il avait bleues comme le couvre-lit de mon oncle Matthieu.

Durant les longues nuits de juin, il les sortait dans le jardin et, sur les genoux de Solange, j'écoutais sans en perdre une miette, les petites saynètes dont il nous offrait l'exclusivité.


Je ne sais pas si tout cela était bien normal.

A l'époque, il n'y avait pas d'assistante sociale et d'ailleurs je m'en moque, elle aurait pu m'offrir pire, croyant me sortir de mon univers glauque.

Le jardin entourant le château avait à lui seul bien des recoins où poussaient les coquelicots pour que je m'épanouisse ; le jardinier ne plantait que sous les fenêtres de Madame des fleurs banales mais très appréciées ; c'était un brave garçon sans manières, qui parlait peu mais observait tout et il m'avait offert un domaine où pousse la fougère et les chrysanthèmes, emblèmes de la cour japonaise.

Quant à la cuisinière, je m'en souviens comme si c'était hier, elle était venue du Finistère se perdre dans nos oranges amères après un chagrin d'amour ; dès qu'elle avait senti la lavande, elle avait tout oublié et on riait, toutes les deux, dès qu'on se croisait.

On a échangé des recettes sans que personne n'en sût rien et même Thérèse, attirée par les arômes de braises, est venue, démaquillée, partager avec nous un repas du soir.

Quelle soirée !

La plus belle, sans doute, de toute ma vie !

Et pour la première fois, j'ai vu sourire tante Thérèse, sans rouge à lèvres ; d'un commun accord , avec Solange, on a mis dans son cocktail du gaz hilarant histoire de décoincer ses chakras.

Après ça, ce fut vraiment la vie de château.

J'étais adolescente, j'ai écrit une thèse et tante Thérèse n'a plus jamais mis de rouge à lèvres.

Elle a fait des chambres d'hôtes dans le château, et tous les soirs, tous réunis dans le jardin, on rit en oubliant d'où on vient.

Quand il pleut, je me souviens ...

(joailes -) 6 juin - 22h 50


Pas besoin de gaz pour rire avec toi Joailes de ton histoire 😉😅 je m’en vais lire la suite à tout de suite… sacrée Thérèse 😉