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comment_191959

Dédié à Thierry Cabot, Poète virtuose,

dont les vénérables vers possèdent la rare capacité

de m’émouvoir au plus profond de mon être.

 

J’ai bien souvent pleuré. Je pleure encor parfois

Dès que le monde a mal, dès que la calme voix

De la sagesse est moribonde,

Lorsque les pires maux surviennent dans la nuit,

Quand pas une lueur d’expectance ne luit

Au secret de l’ombre profonde.

 

Je pleure les amis qui ne se parlent plus,

La faim de l’affamé, les craintes du reclus

Prisonnier des jours de grisaille.

Je souffre de leur peine et sens leur désarroi,

Leur tremblement de mains et l’affolant effroi

Qui, trop vivace, les assaille.

 

Pareillement je plains la perte de l’enfant,

Cette biche qui voit mourir son premier faon

Beaucoup trop faible pour survivre.

Je pleure les souffrants sur leurs falots grabats,

Les êtres dont le mal ne se soulage pas

Que pas un baume ne délivre.

 

Je pleure cette voix disparue en l’obscur

Au-delà — par-delà le Portail et le Mur

Des limbes incommensurables.

Ô la voix bien-aimée, éteinte, de Maman,

Que je n’entendrai plus. Sa douce voix d’antan

Qui faisait mes jours adorables.

 

Je pleure les départs et les effacements

Des plus clairs souvenirs qu’avaient les fols amants

De leurs amours mellifluentes.

Le désespoir frappa fort leurs cœurs affadis,

Les privant sans retour de l’alme paradis

Aux jouissances insolentes.

 

*

Je pleure le fugace instant de l’embrassade

Fougueuse au sein des nuits où battait la chamade

Mon cœur secoué de plaisir,

Lorsque ma belle amante infusait à mes lèvres

Son balsamique souffle et ses nerveuses fièvres

Qui m’électrisaient à mourir.

 

Je pleure le chétif garçon qui fut la proie

De regards assassins, avec malsaine joie

Décochés pour faire souffrir.

Et puis je pleure tant les maux et la torture

Qu’un innocent subit, — infâme forfaiture ! —

Sans infime espoir d’en sortir.

 

Je pleure le sourire aguichant d’une femme,

Allumé, puis défunt, comme meurt une flamme

Sous l’assaut du vent véhément.

Elle me fait pleurer, cette ressouvenance

Puisque s'en est allée avec mon espérance

Un bonheur plein d’apaisement.

 

Ils sont nombreux, mes pleurs, et la douleur est vive

De les avoir versés. Le jour tombant ravive

Des réminiscences sans fin.

Je trébuche des fois, mais résiste sans cesse

Aux appels de la peur, à sa scélératesse,

Pour qu’elle déguerpisse enfin.

 

J’ai tellement pleuré, pleuré les rouges roses

Qui se fanent toujours, pleuré les tristes choses

Qui mènent toutes à la mort.

Mais maintenant, mon Dieu, sans amertume aucune,

Je Te rends tous mes pleurs et quitte ma rancune,

Ultime étreinte qui m’endort.

 

14 mars 2025

© Borys de Pozenailles — Texte protégé

 

Posté(e)
comment_191962

Un très beau et très touchant poème !

 

Oui, il faut se déprendre de tout avant le Grand Voyage, jusqu'à l'ombre de soi-même...

Posté(e)
comment_191964

On admire la parfaite prosodie, non sans s’inquiéter de l’état dépressif et de la répétition des pleurs qui inspirent ces vers.

Posté(e)
comment_191993

Un poème bouleversant, @Borys de Pozenailles Tous ces pleurs qui égratignent l'âme... Il en est quelques-uns d'heureux.

Une telle abnégation en ces mots.

Posté(e)
comment_192041

Les pleurs traversent les ruelles, les allées des magasins, les hôpitaux, les tristes vies, certains en rient si forts qu'ils en font un métier, les pleurs sont des rivières sans fond qui font pourtant le fond de commerce de toutes les enseignes et je pleure aussi.