Posté(e) 29 janvier (modifié) Je me suis réveillé très tôt. Pendant quelques secondes, je suis déconcerté par tout ce que j’entends, le grincement des essieux, le roulis des wagons, le gémissement des bogies. Et puis, il y a ces odeurs de bois et de fumée, ces arômes de café, tant de parfums et d’effluves délicieux… Je sens contre ma peau la douceur des draps, je caresse les couvertures rêches, j’étire bras et jambes. Comme je suis bien ! J’ouvre les yeux et je regarde par la fenêtre. On voit défiler des herbes jaunes, de maigres arbustes, des termitières ocres, le sol brun et rouge. Soudain, une antilope fuse et disparaît aussitôt, éclair blond. J’ai oublié depuis quand nous roulons, une heure, une nuit, une semaine, je ne sais plus… J’ai dormi, dormi, bercé par le ronronnement des voitures, le chuintement des rails. Notre caboose1 file à travers la savane depuis l’éternité, rien ne peut l’arrêter. Je bondis hors du lit. À peine debout, je manque de trébucher, on dirait que le sol bouge sous mes pieds ! J’ouvre la porte du compartiment, je me dirige ensuite vers les toilettes, tanguant dans le couloir d’un pas mal assuré. Quel bonheur d’enfin vider sa vessie ! Oscillant au gré des secousses du train, j’essaie de viser le centre de la cuvette, avec un certain succès... Je trouve merveilleux de faire pipi et de voir le liquide tomber directement sur le ballast, éclaboussant les graviers. Maman m’aide à me laver et à m’habiller. À la fenêtre, c’est toujours le déroulement sans fin d’herbes hautes et de buissons jaunis. Le claquement régulier des rails enchante mes oreilles. À l’arrière du wagon, une cafetière fume au milieu de la table. Cela sent bon le pain grillé. On me sert du café avec beaucoup de lait. J’engloutis plusieurs toasts recouverts de confiture. Mon assiette et ma tasse vibrent un peu, je renverse quelques gouttes sur la nappe. Rassasié, je me colle à la fenêtre et je regarde le paysage. Dans les courbes, je vois s’étirer le train, qui me paraît formidablement long. Tout au bout, la locomotive fend l’espace comme par enchantement. Je baisse la vitre, je sors la tête. Il fait déjà chaud et c’est si agréable, ce vent qui vous rafraîchit, chatouillant les oreilles, taquinant le nez. J’ai cinq ans et je suis heureux. Le train ralentit. Une gare est apparue. Nous sommes arrivés à Mutshatsha. 1 Voiture PS Ce texte a son équivalent en poésie, dans A l'ombre de Vos Vers, avec le même titre... Modifié 29 janvier par Jean-Paul 1
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