Connecté Posté(e) 5 janvier "Ne me parle pas beaucoup de religion, mais laisse-moi voir la religion dans tes actions." (Léon Tolstoï) Un froid bien sévère avait envahi la terre comme c'est bien souvent le cas en hiver, les gouttes au nez vite transformées en stalactites en attestaient. Cependant les pêcheurs ne pouvaient se dérober à la messe de minuit, sous peine de sept ans de malheur. Alors on put les voir, emmitouflés dans d'affreux peignoirs, de grosses chaussettes de laine dans leurs sabots et des bonnets de nuit peu sexy en laine de mérinos, prendre le chemin de l'église, après quelques verres de vin chaud pour affronter la bise. Economie oblige, celle-ci n'était pas chauffée et on put entendre des dents claquer, des membres tremblants sur les prie-Dieu, ce qui eût été très drôle en d'autres circonstances, mais l'heure n'était pas aux réjouissances, la crèche avait été vandalisée et les santons de plâtre gisaient dans une boue noirâtre ; il faut vous dire que la toiture n'en pouvait plus de supporter les grosses pluies comme des coups de couteaux, et qu'elle s'était effondrée par endroits. Chacun se regardait sans oser rien dire, et comme le curé ne vint pas ce soir là il n'y eut pas de messe. D'aucuns crurent se réchauffer en entamant un chant d'allégresse ; mais en essayant d'ouvrir la porte, ils s'aperçurent qu'ils étaient prisonniers et ils eurent beau tout tenter, ils durent se rendre à l'évidence. Pas de chance, pleurèrent certains, se prenant la tête entre les mains. Ils commencèrent rapidement à s'insulter et ce fut la débandade, les plus faibles furent molestés et dépouillés de leurs vêtements, quelqu'un de prévoyant qui avait emporté une citronnade fut mis à terre ; voici que toutes ces âmes pieuses retrouvèrent leur forme belliqueuse : ils s’entre-tuèrent presque, avec ongles et bec. Soudain, la porte s'ouvrit et le curé habillé en Dieu cria : Vous n'avez pas honte ? C'est la nuit de Noël ! Sa voix puissante résonna jusqu'en haut de l'autel. Les hommes regrettèrent en regardant le ciel. Les santons se relevèrent, la toiture se referma ; miracle de la nuit de Noël. A l'horizon, des rois en robe de velours constellée d'étoiles arrivaient, les bras chargés de présents. Les survivants de cette nuit de folie joignirent les mains, croyant expier ainsi leurs fautes mais ils furent tous changés en bûches dont se régalèrent le curé, les santons et les rois ; la messe commença, un petit malin avait trafiqué la pendule –-je crois que c'était Jules, le sacristain – Marie poussa un cri : un joli petit poupon naquit qui ne craignait pas le froid, ni les intempéries ; tandis qu'à travers bois les loups réveillonnaient en mangeant les mauvais chrétiens. Quelle belle nuit de Noël, propice au sacrifice ! Dans l'odeur de cannelle, on a mangé le pain d'épices. L'âne a ri, la vache a empli son pis, le bœuf a distribué des étouffe-chrétiens. Qu'est-ce qu'on était bien, dans la petite église, avec le sacristain dont l'humour était de mise ! On est restés toute la nuit, bien au chaud, nous qui croyions encore aux messages d'en haut ! Dehors, soufflait le blizzard, comme c'est bizarre cette histoire, n'est-il pas ? (joailes -) 6 janvier 2024
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