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Posté(e)

La morte vive

 

 

Dans une ville grise et terne en cette fin novembre, vivait Louis, un vieil homme solitaire, malheureux et quelque peu aigri. Son épouse l’avait quitté naguère pour un fringant Receveur des Postes et depuis, il vivotait sans espoir et sans talent particulier. Ivre de pouvoir, il avait passé jadis des années à étudier l'occultisme et les mystères de l'au-delà. C’était à présent la seule passion qui lui restait.

 

Son appartement était un véritable capharnaüm, rempli de livres anciens, de grimoires mystérieux et d'étranges objets aux pouvoirs énigmatiques. Il les avait accumulés au fil des ans avec une rapacité maniaque. Comme le docteur Frankenstein, il rêvait de donner vie à une créature docile et fidèle grâce à des sorts particulièrement sophistiqués. Pendant des années, il s’était employé à cette tâche, délaissant les rares amis qui lui restaient.

 

Ce soir-là, alors qu'il désespérait de parvenir à ses fins, prêt à en finir avec cette existence qui était devenue pour lui plus lourde que le plus pesant des fardeaux, il tomba par hasard sur un vieux manuscrit oublié au fond de sa bibliothèque.

 

En le feuilletant avec curiosité, il arriva à un chapitre qui attira immédiatement son attention : « Redonner vie aux fantômes ». Un rituel était précisé, qui permettait, comme le titre de la rubrique l’annonçait, d’insuffler la vie à un être de l’au-delà qui lui serait soumis entièrement. Il tenait sa vengeance envers les femmes !

 

Sans attendre davantage, il se lança immédiatement dans le protocole magique. Il traça des cercles sans fin, alluma des bougies enduites de son sang, brûla des herbes odorantes. Puis il prononça l'incantation, empli d’espoir. Il espérait de toutes ses forces que cette fois-ci enfin, son rituel serait suivi d’effet. Ce serait en tout cas sa dernière tentative avant d’en finir avec la vie.

 

Il entendit soudain une voix féminine :

— Pourquoi m'appelles-tu ?

 

Il regarda de tous côtés et aperçut dans un coin reculé de la pièce une créature translucide et éthérée aux cheveux dénoués. Une vraie sylphide, à demi transparente, qui semblait perdue. Le regard de cette jeune femme était empli d’une immense détresse. Comment lui avouer la vérité ? Le vieux sorcier bafouilla un peu et se lança.

 

— Je m’appelle Louis, je suis magicien et j’ai voulu converser avec un fantôme de l’au-delà pour échanger un peu d’amitié. Je suis très seul.

 

— Moi, je m'appelle Amélia et c’est tout ce que tu sauras de moi, murmura le spectre avec un soupçon d’hostilité. Je ne souhaite nullement échanger avec un humain, ni avec personne, d’ailleurs. Mon éternité dans l’au-delà me convient. Cette non-vie m’apporte ce que je souhaite par-dessus tout : le silence et la paix. Laisse-moi partir !

 

Il n’en était pas question. Le vieil homme bredouilla de façon indistincte, promit tout ce qu’elle voulait et se hâta de terminer discrètement son rituel pour ancrer l’ombre fantomatique dans le monde réel. Ce fut vite fait. Le protocole semblait rapide et efficace. Voilà une demoiselle qui allait l’adorer, qu’elle le veuille ou non !

 

La créature était devenue une ravissante jeune femme aux yeux pers. Louis était fou de joie. Il commença un long discours sans queue ni tête pour tenter de la convaincre que vivre était un bonheur infini. La visiteuse le regarda avec commisération tandis qu’il énumérait force arguments. Mais lorsque le regard de l’ondine devint moqueur, le vieux sorcier s’alarma. Que se passait-il ? Il y avait quelque chose qui n’allait pas.

 

Louis regarda sa main qui le démangeait : elle devenait progressivement transparente ! Ce fut au tour de ses jambes puis de son torse. Il ne restait plus que son cœur encore visible, masse compacte et spongieuse, qui tressautait sporadiquement comme une vieille bouée. Quelle horreur ! L’angoisse du vieil homme devint indescriptible.

 

C’est à ce moment que la jeune beauté reprit la parole.

 

— Pauvre petit humain qui s’imagine triompher du monde des ombres et leur imposer ta loi ! Tu vas disparaître. Il faut rétablir l’équilibre au sein des ténèbres : une âme vaut une âme. Tu m’as arrachée malgré moi à mon sort, tu me remplaceras dans l’Ailleurs.

 

Il en fut ainsi. Louis vit ses derniers organes disparaître peu à peu sous ses yeux aussi hagards qu’invisibles. Il devenait lui-même petit à petit un fantôme, créature sans nom et sans passé au sein du Grand Tout.

 

La jeune personne, quant à elle, réfléchit un instant. Il lui fallait prendre ses marques dans cette nouvelle vie. Elle alla se blottir dans le vieux fauteuil confortable de Louis. Elle était donc condamnée par ce vieux fou à reprendre le cours de sa vie interrompue jadis par son suicide à vingt-deux ans. Erreur de jeunesse, sans doute. Elle voyait les choses sous un autre angle à présent, après trente-trois ans de néant consciencieux. Elle réalisait qu’en fait, Louis, bien involontairement, lui avait donné une nouvelle chance. Il fallait la saisir.

 

Amelia adorait le café dans sa vie antérieure. Elle allait se préparer cette boisson chaude, cela lui donnerait des forces. Elle passa dans la cuisine. Un sucre ou deux ? Et pourquoi pas trois ? Elle avait le droit de se faire plaisir maintenant !

 

Carpe diem !

 

FIN

 

 

 

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