Posté(e) 25 septembre 202425 sept. Semeur d’échos comment_179852 Avertissement : il est conseillé aux lecteurs sensibles de s'abstenir. Dans la maison des morts La recommandation médicale tomba comme un couperet : une échographie épigastrique, à faire le plus rapidement possible, une tumeur étant détectée par l'examen clinique de routine. Ces mots l'atteignirent au plus profond d'elle-même. L'émotion la fit vaciller sur son siège. Un cancer, docteur ? Le médecin placé en face d'elle comprit qu'elle s'angoissait subitement. Il eut des paroles qu'il devait penser rassurantes. Une tuméfaction importante, indolore, non mobile, située dans la partie haute de l'abdomen, une tumeur, donc... Aucune chance d'être un simple kyste, ils sont mobiles. Cette tumeur bien présente pouvait être maligne, certes, mais aussi bénigne, n'est-ce pas ? Il eut un bon sourire de papa gâteau. Allez, il fallait subir très rapidement cet examen et le traitement pourrait commencer aussitôt. Gardez le moral ! Elle paya et repartit avec son ordonnance. Au suivant ! Au comble de l'angoisse, elle fit le nécessaire pour prendre rendez-vous pour l'examen prescrit, ce qui ne fut pas facile. Les déserts médicaux ne facilitent pas les choses. Elle finit par obtenir un rendez-vous dans un hôpital situé à plus de cent kilomètres de son domicile. Avec des centaines d'euros à prévoir pour le déplacement en taxi. Son handicap lui interdisait les transports en commun. Les sept jours d'attente seraient bien longs. Mais elle n'avait pas le choix. Le ver était dans le fruit, comme dit le proverbe, il fallait aller jusqu'au bout, en avoir le cœur net. La parole médicale était sacrée, n'est-ce pas ? Le savoir était le privilège du médecin, non du patient. Autre infaillibilité pontificale. Elle entra dans la maison des morts. La pensée de son décès prochain ne la quitta pas pendant ces sept jours d'attente, effroyablement longs. Elle passa ses jours et ses nuits à s'informer sur internet (ce qui est très mal, selon les médecins). La survie moyenne pour le cancer du pancréas était de deux ans. La plupart des cancers situés dans la zone épigastrique sont foudroyants. Les "parties molles" de l'organisme humain le sont bien, en effet ! Il est difficile de se faire à l'idée de sa disparition prochaine. Elle essaya, pourtant. Sans le secours de la religion, elle n'était pas croyante. Pas de paradis à espérer pour ses bonnes œuvres, ni d'enfer d'ailleurs pour ses affreux méfaits (?). Ce dernier point avait quelque chose de consolant, d'ailleurs, même si, dans sa triste vie, elle n'avait rien à se reprocher. Il fallait "seulement" renoncer à tout, rentrer dans le grand cycle de la vie et de la mort, prendre sa place sur le toboggan de la disparition, ne plus penser, ne plus aimer, ne plus rien voir, se détacher des "apparences". C'était le lot de l'humanité, comme de tous les êtres vivants : un jour, tout serait terminé. L'immortalité n'existe pas. Elle se répétait cette phrase en boucle, dans l'espoir de s'apaiser. Il fallait accepter, dire adieu au monde, essayer de ne pas se révolter ni s'affoler. Seulement tenter de moins souffrir. Certes, cette tumeur repérée par son médecin pouvait être bénigne, il l'avait dit lui-même (tout en évoquant un traitement à entreprendre le plus vite possible) mais l'immense soleil noir de la mort semblait déjà s'étendre sur sa vie. Elle n'avait aucun espoir, elle n'avait jamais eu de chance ! Son organisme fut éprouvé pendant ces sept jours par toutes les émotions négatives qu'elle n'arrivait pas à juguler. La machine commençait à se détériorer, comme un navire qui sombre lentement. Le jour tant attendu (et redouté) de l'examen arriva néanmoins. Au comble de l'angoisse, elle parvint à faire bonne figure. Aussitôt son examen très méticuleux achevé, le radiologue l'informa que tout était normal, aucune grosseur dans l'épigastre, juste quelques kystes minuscules sur le rein droit, sans aucune gravité. Il était formel, des organes en bon état, sans aucune tumeur. Face à l'incrédulité de sa patiente, il parla de... constipation passagère, phénomène qui explique parfois (rarement, très rarement, très très rarement) ce genre d'erreur aussi grossière de diagnostic. Elle insista pour que le radiologue lui communique un compte rendu écrit de son examen. Les jambes flageolantes, elle sortit de l'hôpital et regagna son domicile en taxi. Tout ça pour ça ! Une tumeur cancéreuse évaporée avec le transit intestinal ! Quelle dérision ! Cela prêtait à rire, ou à pleurer. Pendant le trajet retour, elle eut l'impression que le long voile obscur qui recouvrait l'horizon devant ses yeux se dissipait peu à peu au fur et à mesure que les kilomètres s'additionnaient. Les arbres reprirent de la couleur. L'air devint plus transparent. Elle sortait de la maison des morts. FIN Modifié 25 septembre 202425 sept. par Alba
Posté(e) 26 septembre 202426 sept. Semeur d’échos comment_179863 Une histoire émouvante d'un parcours dans l'affreuse salle d'attente de l'angoisse ... Heureusement, elle finit bien.
Posté(e) 26 septembre 202426 sept. Auteur Semeur d’échos comment_179913 Merci beaucoup, Joailes ! Une échographie au lieu d'une purge préalable pour vérification, c'est ainsi en France que l'on dilapide les deniers publics !
Posté(e) 26 septembre 202426 sept. Auteur Semeur d’échos comment_179952 C'est vrai, Diane, je ne te souhaite pas de vivre ces instants.
Posté(e) 27 septembre 202427 sept. Semeur d’échos comment_180034 Une histoire bien menée. Une telle annonce fait trembler (surtout le pancréas). On croit que les praticiens sont visés parce qu'ils ne compatissent pas assez et finalement il s'agit de leur manque de compétence. On est vraiment soulagé à la fin! 🫣
Posté(e) 28 septembre 202428 sept. Auteur Semeur d’échos comment_180071 Merci pour ce regard avisé sur mes mots, Thy Jeanin ! 🙂