Posté(e) 12 juillet 202412 juil. comment_173852 C’était un jour ensoleillé d’été. Ne me demandez pas lequel, je ne m’en souviens plus. J’avais la chance d’être chez ma maman, au bon moment. Elle s’était mise en tête, avec son chéri, d’aller faire un tour dans un zoo. Je n’ai jamais eu une très bonne mémoire, ou du moins, une mémoire efficace. Je retiens souvent des broutilles et mon cerveau fait l’impasse sur les points qui mériteraient mon attention (j’ai mis vingt-cinq ans à retenir la date de naissance de mon père, mais ça, c’est un autre sujet). Vous ne m’en voudrez donc pas pour le nom du zoo que je tairai, pas par volonté d’anonymat, mais plutôt par défaillance neuronale. Alors ça y est, nous y sommes ! J’ai bien dû me rendre dans ce genre d’endroit deux ou trois fois, quand j’étais petite, mais c’est la première fois que j’allais y retourner en tant qu’adulte. Entre-temps, mes connaissances sur les animaux s’étaient bien développées : j’avais eu ma période carnivore de documentaires animaliers, quand je ne m’amusais pas à en regarder avec mon chat, juste pour avoir le plaisir d’apprécier son regard, complètement ébahi, devant mon écran de télévision. À force de visionnage, j’avais développé un intérêt tout particulier pour les félins. Je trouvais que ces animaux étaient fascinants, tant par leur beauté, leur intelligence et leur faculté d’adaptation. Alors j’avais des rêves de chats rubigineux, de panthères, de caracals, de chats pêcheurs, de guépards, de léopards et j’en passe, cela défilait sans s’arrêter. Je commençais alors à échafauder un plan pour la visite du zoo. Il faut savoir que je prends très peu de photographies et cela va avoir toute son importance pour la suite. D’ailleurs, mes parents n’ont jamais compris ce comportement singulier, surtout quand je rentrais sans un souvenir visuel en poche lors de mes voyages scolaires, quand j’étais plus jeune. Évidemment que je comptais aller admirer les grands et les petits chats ! Mais pour cela, il allait me falloir du temps, ce que la disposition d’un zoo ne vous incite pas à avoir. Au final, un zoo, c’est un peu comme ces nouveaux magasins qui émergent, vous savez, ceux dans lesquels il n’y a qu’un seul parcours et où même si vous savez ce que vous voulez acheter, vous devrez passer devant absolument tous les rayons… Il y a, malgré tout, une certaine forme de liberté relative à l’itinérance dans un parc animalier, mais l’ambiance générale consiste tout de même à passer devant tout et s’esclaffer pour un rien. Ce n’était pas comme cela que je concevais ma petite excursion. Alors, pour ne pas trop manquer aux personnes qui m’ont gentiment offert le billet d’entrée, je décidai de les accompagner pour un temps, en me fondant bêtement dans la masse. Ah ça oui, on en a vu défiler des bestioles ! Ma mère me collait et me chopait le bras, à chaque touffe de poil ou museau qui dépassait. Jamais de place devant les enclos et si, par miracle, il restait un interstice près d’une vitre, c’est que l’animal en question rentrait se terrer quelque part après sa séance de shooting photo. Rien d’intéressant, en somme. Et un bruit de fond, parsemé de cris et de divers points d’exclamations, commençait à m’indigner de plus en plus. Je m’exclamai à mon tour, mais pas parce que j’avais vu un singe faire la grimace. Je ne comprenais pas pourquoi les gens ne pouvaient pas observer la faune calmement, cette attitude me dépassait complètement. Encore pour les enfants, passons, c’est toujours un émerveillement pour eux et c’est bien normal, mais les adultes étaient loin d’être en reste. Il faisait une chaleur à crever. Nous décidâmes de nous arrêter auprès d’un endroit stratégique mêlant glace, nourriture et surtout de l’ombre. Par chance, ce n’était pas trop fréquenté. Un paon traînait dans les parages et faisait le beau, on aurait presque dit qu’il avait envie de faire le service pour les clients. C’est après avoir partagé un déjeuner rafraîchissant que je fis part aux autres mon intention d’aller me balader toute seule. Enfin, l’excursion allait vraiment commencer ! J’avais déjà repéré deux ou trois endroits sympathiques et me dirigeai vers l’enclos des chats du désert. Je pus en apercevoir un déambuler tranquillement l’espace d’un court instant, mais manifestement, c’était pour eux l’heure de la sieste et après être restée debout une bonne demi-heure sous une chaleur assommante, je pris une autre direction en quête d’une place assise. Je jetai alors mon dévolu vers l’enclos des panthères des neiges. Il n’y avait personne dans les parages, alors c’était parfait. Tout y était pour entamer une longue observation : une place assise, qui plus est, ombragée et un calme absolu. C’en était même étrange d’être seule à ce point, dans un endroit aussi bondé. Surtout devant la maison d’un animal aussi exceptionnel, que même les meilleurs reporters peinent à suivre dans son environnement naturel. Peu importe, cela m’arrangeait bien, et après tout, je ne voyais aucune panthère aux alentours, ce qui expliquait certainement la désertion du lieu par les photographes en herbe. À peine avais-je eu le temps de me faire cette réflexion que j’aperçus une masse de poils gris tachetée se diriger droit vers moi. La panthère marchait, nonchalamment et s’arrêta, pile en face de moi. Elle s’assit. C’était un temps étrange. Il semblait se dilater tout seul. Moins d’un mètre nous séparait l’une de l’autre. Juste un petit mètre. Et elle était là, immobile. Je me demandais ce à quoi elle pouvait bien penser, à me regarder comme cela. Je me demandais si j’étais en train de rêver. J’aurais pu rester là une éternité, tant j’étais figée par son regard. C’était cette chose indescriptible qui vous fait sentir tout petit, ramollissant vos membres au fur et à mesure que vous faites le tour de l’iris d’autrui. C’est à ce moment-là que me vint l’idée de la prendre en photo. Mais pour quoi faire ? J’en avais déjà le souvenir, gravé dans ma mémoire. Une photo ne pourrait pas rendre compte de son arrivée majestueuse, peu de temps après je me sois assise. Aucun intérêt. Je préférai ne pas bouger. Manifestement, elle non plus n’avait rien d’autre à faire. Comme je la plaignais. À tourner en rond dans un lieu d’exposition, qui ne ressemble en rien à son milieu naturel. Où étaient les montagnes, où étaient les chasses interminables dans les rocheuses où tu risquais ta vie, où étaient les enquêtes sur des dizaines, peut-être même des centaines de kilomètres, pour trouver celui avec qui tu te reproduirais ? En réalité, j’étais bien incapable de bouger, car j’étais à la fois émue de la contempler, mais aurais préféré ne jamais la voir ici, sous une chaleur étouffante. J’avais presque l’impression qu’elle comprenait que je la comprenais. Je ne voulais plus partir. Malheureusement, tout a une fin. C’était sans compter sur un début de vacarme qui me tira délicatement de ma torpeur. Ce genre de cohue dont je vous ai déjà parlé plus tôt. Et ça y allait fort. « Regardez, regardez, la panthère est juste là, venez ! » « Vite, venez prendre des photos ! » « Oh regarde mon chou, il y a le gros chat gris ! » « Ah ça y est, elle se pointe enfin ! » « Oh putain, elle est genre pile-poil en face de la vitre, trop bien ! » « Mais elle est grave photogénique en fait ! » Ce n’était qu’un petit résumé des joyeuses festivités qui étaient en train de prendre place tout autour de moi. Mon temps était révolu. Je pris la résolution de m’en aller. Après tout, j’avais eu droit à un moment en tête à tête assez exceptionnel, je n’allais pas m’en plaindre. Maintenant que j’étais sortie de là et que je tournais le dos au grand félin, je pouvais estimer notre temps de rencontre à environ cinq bonnes minutes. Pourtant, je sentis un pincement, qui devenait de plus en plus douloureux au fur et à mesure que je commençais à m’éloigner. Est-ce que je ne pouvais pas supporter les gens quelques minutes de plus, en me focalisant juste sur l’animal ? Je ne savais pas répondre à cette question, mais dans le doute, je fis un léger demi-tour, juste un tour de hanche, pour analyser la situation. Je me rendis compte que la panthère des neiges, elle aussi, avait tourné les talons, presque en même temps que moi, puisqu’elle s’était déjà éloignée d’une dizaine de mètres, ce qui, je vous l’avoue, conforta mon départ, non sans une pointe de satisfaction. Modifié 12 juillet 202412 juil. par Kurauh
Posté(e) 12 juillet 202412 juil. comment_173877 Je pense souvent à des zoos où on mettrait des gens et je me gausse ...
Posté(e) 13 juillet 202413 juil. comment_173907 Volontiers complice de ta plume, on te suit avec plaisir parmi des vivants qui ont souvent bien plus d'intérêt que nos congénères!
Posté(e) 13 juillet 202413 juil. Auteur comment_174018 Si je ne me trompe @Joailes, je crois que Flobaire nous avait donné l'occasion de lire un poème sur ce sujet précisément. C'était très bien réussi ! Merci @Thy Jeanin, c'est la toute première fois que j'écris de la sorte et ça m'a plu. C'est avec plaisir que j'accepterai vos retours quels qu'ils soient 🙂 Modifié 13 juillet 202413 juil. par Kurauh
Posté(e) 14 juillet 202414 juil. comment_174060 Il est encore plus extraordinaire de rencontrer la panthère des neiges, après une longue quête, en son milieu naturel, comme Sylvain Tesson. Dans un zoo, aussi magique soit-elle, cette rencontre prend un caractère pathétique.
Posté(e) 17 juillet 202417 juil. Auteur comment_174365 Je vais vérifier par acquis de conscience @Jeep, mais je crois bien avoir vu quelque chose de ce genre. Je vous rejoins, c'est incroyable de pouvoir les voir en milieu naturel, tant elles se camouflent bien et sont agiles dans un environnement aussi hostile, sans parler du fait que c'est une espèce peu répandue. J'ai tout de même été captivée au zoo, tant elle était proche et calme, mais j'ai vite été rattrapée par un sentiment d'amertume... Modifié 17 juillet 202417 juil. par Kurauh