Posté(e) 3 juillet 2024 Cette année là, j'avais décidé de partir pour nulle part et, après avoir consulté maints dépliants dégoulinants de bleu turquoise et de soleil brûlant, j'eus, malgré ces alléchantes promesses, envie d'autre chose. Je m'habillai à la hâte et attrapai au vol mon parapluie qui ne m'avait jamais autant servi qu'en ce mois de juin pourri et mon sac de Mary Poppins recouvert de pin's. Dans la petite rue des caroubiers, tout au fond, à droite, je sais une échoppe rose fluo dont la propriétaire, Mamz'elle Clau, vend de l'oubli. Elle vous reçoit dans un salon épuré et vous fait asseoir sur un canapé en velours rouge, vous pose quelques questions dont elle note les réponses sur un cahier en fronçant un peu le nez ; ensuite elle met une musique appropriée sur un vieux phonographe à cylindres et l'on perd l'envie de se plaindre, même si on a tout un tas de raisons pour ça. Alors, on s'allonge et au fur et à mesure, elle recueille des confidences ; on raconte ses rêves d'enfance, ses fantasmes les plus secrets, ses désirs inassouvis … Je ne sais pas très bien si on est en transe, ce qu'il se passe après, quand on a tout dit. Toujours est-il qu'on se retrouve nulle part, dans un endroit qui ressemble au désert bien avant le septième jour ; dans une nature sereine au milieu des arbres et des fruits. En vérité, je vous le dis, le voyage est hors de prix, j'y ai laissé toutes mes économies. Mais quand on arrive à l'oubli, il est très rare qu'on demande un billet de retour. Alors on reste là et Mamz'elle Clau clôt votre fiche client. Elle se frotte les mains un de moins jubile-t-elle, et la terre se dépeuple de plus en plus d'êtres humains ; elle sait la fin et ce que je trouve bien c'est que je n'ai plus à me casser la tête pour écrire des histoires qui ne mènent à rien. Je suis là depuis cinq jours, depuis quand n'a-t-il pas plu ici ? La terre est sèche, toute craquelée ; mais les eaux turquoise sont douces et le soleil brûlant. Les façades sont blanches jusqu'à l'aveuglement et le sable est blond comme les cheveux d'un petit prince. Décidément … je suis retournée chez ma mer. Je ne sais plus trop si je suis sortie de chez moi, si l'échoppe rose fluo existe, si je l'ai inventée ..? Sur ma play-list, j'ai des musiques d'éternité, le temps n'a plus d'importance et sur les toits les goélands s'exclament comme si je n'avais jamais quitté mon atelier ; il pleut et tout s'efface dans la mémoire morte. Mam'zelle Clau sonne à la porte, elle ramène mon sac et mon parapluie et avant que j'oublie, me laisse sa facture et son devis pour la prochaine sortie. Elle m'embrasse, je suis sa plus vieille cliente et me propose une ristourne sur le prochain forfait. Il me reste des choses à oublier mais, dans un éclair de lucidité, je sens la forfaiture ; l'oubli n'est qu'un passager comme moi , croyant à l'aventure et soudain il éclate comme une bulle de savon. J'ouvre grand la porte de mon salon et Mam'zelle Clau s'allonge aussitôt sur mon canapé rouge , je mets le soixante-dix huit tours de Rose Avril "un rien me tourne la tête" et enclenche mon magnétophone. Destination Oubli ... (joailes ------) 3 juillet 2024
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