Billet (1)

[Joailes]

 

 

"Il existe un livre que personne ne pourra finir de lire de sa vie et qui ne compte pourtant que 10 pages.

 

En 1960, l'écrivain français Raymond Queneau (1903-1976) présente ce qui est probablement le livre le plus long du monde.

Il s'agit de « Cent mille milliards de poèmes », et il occupe à peine dix pages, chacune contenant un sonnet.

Les vers conservent tous la même rime et sont découpés en bandes, afin de pouvoir être combinés avec ceux d'autres sonnets.

Ainsi, le nombre total de combinaisons possibles contenues dans le livre est de 10 puissance 14, soit cent milliards de poèmes différents.

Cela implique que personne ne pourra jamais lire le livre en entier, quels que soient ses efforts, car il faudrait plusieurs millions d'années pour rassembler tous les poèmes, sans manger, dormir, lire de magazines ou quoi que ce soit d'autre ; peut-être même au bout d'un moment arrêterions-nous de respirer et ce serait fatal.

 

Tout mélange que nous ferons formera un sonnet significatif, prenant en compte les strophes, le rythme et la rime.

De plus, il est fort probable qu'en prenant un poème au hasard, le lecteur soit le premier à le lire puisque, selon Raymond Queneau lui-même, s'il nous faut environ 45 secondes pour lire un sonnet et 15 autres pour préparer le suivant,  pour lire toutes les combinaisons, il faudrait environ deux cents millions d'années !

Les avez-vous ? Probablement non. Sauf, peut-être Connor Mc Leod,  mais il n'est pas inscrit ici, errant dans l'antichambre depuis quelques milliers d'années à cause d'une faute d'orthographe inacceptable et d'un univers bien trop glauque. 

 

Donc vous ne lirez jamais ce livre en son entier ; d'ailleurs lisez-vous seulement convenablement tous les poèmes publiés ici, avec le respect et le temps qu'ils méritent, chacun étant en soi une offrande avec son univers et ses secrets ..?

Hum ... "

 

J'en étais là de mon article, lorsque je m'aperçus en louchant sur le calendrier que le printemps venait d'arriver, que c'était fête dans la campagne où les messagers parfumés et musicaux venaient d'installer leur campement.

Je mis la bâche sur ma machine à écrire et, ôtant mon vieux pull tout mité, je sortis en courant de mon infâme bureau gris et poussiéreux.

Enfourchant  mon vélo, respirant à pleins poumons l'air tendre du jour, je m'enfuis vers la liberté en pédalant bien mieux que je n'écrivais.

Et l'inutile article finit dans la corbeille à papier …

(joailes -------) 20 mars 2024