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Le vingt-neuvième jour


Joailes

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Auguste avait toute une collection de pendules dont la plupart avaient arrêté le temps, lasses d'égrener les heures et sur son petit balcon il avait planté plusieurs arbustes dont l'un tout particulièrement généreux lui donnait quelques citrons.

Retraité tout fraîchement des chemins de fer où pendant plus de cinquante ans il avait parcouru les quais en long, en large et en travers, il ne sortait jamais sans son ciré jaune de pêcheur breton car son grand regret était de s'être trompé de profession, de ville et de passions.

Ce jour là il poussait son vélo vers le café du père Colateur où il avait ses petites habitudes ainsi qu'un rendez-vous avec son ami Michel, ce 29 fébruarius à 15 h plus précisément.

Il s'assit dans le fond de la salle, sur la vieille banquette de skaï rouge et commanda un petit vin blanc, selon une habitude quasi séculaire.

Le Père Colateur cessa un instant de faire briller ses verres et lui obéit au doigt et à l’œil.

 

Auguste feuilleta le journal sans intérêt aucun, puis son regard alla se poser sur la petite place, où les arbustes bien entretenus faisaient des dessins ; il s'amusait à leur trouver des noms selon leur forme, leur taille et leur feuillage.

L'un d'eux tout particulièrement lui était cher, il ressemblait à son grand-père ; un peu voûté, dans un costume jaune avec de longs bras décharnés et une grande moustache qui lui chatouillait le nez,  il sirotait son petit vin blanc dans une flaque de soleil. 

Il sortit un carnet de sa poche et fit quelques esquisses, se moucha bruyamment, regarda autour de lui.

Il se trouvait dans une grande forêt avec son fils qui était parti s'installer en Bretagne où il tenait un commerce de cirés jaunes et de bols avec des prénoms ; il lui fit voir l'arbre d'or.

L'air était embaumé du parfum mystérieux des chênes et Auguste était heureux comme il ne l'avait jamais été.

 

Le patron du café lui tapa sur l'épaule je vais fermer dit-il alors Auguste s'aperçut qu'il faisait nuit et que son ami n'était pas venu.

Il regarda le journal : 29 février et la pendule : 20h.

Quelque peu inquiet, il alla jusqu'à la cabine voisine et téléphona à son ami.

 

Tu n'es pas venu … je t'ai attendu, lui dit-il, heureux malgré tout d'entendre sa voix.

Je suis venu hier, répondit Michel, je me suis même endormi à force de t'attendre !

 

Il en est souvent ainsi, les années bissextiles ; les gens oublient qu'ils ont un jour de plus à vivre et n'en profitent pas.

Mourir la veille est une hérésie !

 

Rassuré, Auguste enfourcha son vélo et pédala longtemps.

Au petit matin, enfin, il aperçut Julien, son calendrier à la main.

Il rendit à César ce jour pour rien.

A dans 4 ans, lui dit-il en souriant.

Et Auguste attend toujours avec impatience le vingt-neuvième jour, dans le Val de non-retour, près de l'arbre d'or.

(joailes ----) 29 février 2024


 

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