Partager Posté(e) 3 décembre 2023 Un matin, au moment de sa toilette, alors que Victor procédait à l’opération de rasage quotidienne, il eut, ce qu’il appela sur le moment, une « absence ». Dans la salle de bain, posté devant la glace fixée au-dessus du lavabo, il en était au rasage du cou. Il utilisait pour ce faire un rasoir au manche en corne, pourvu d’un support pour une lame qu’il changeait deux fois par semaine. Il aimait sentir glisser la lame sur sa peau préalablement enduite d’un mousse au léger parfum de santal. Ce matin-là le rasage durait, s’éternisait, sans que Victor ne s’en rendît compte. L’alarme qu’il avait enregistrée sur sa montre pour lui indiquer l’heure de quitter la maison se mit brusquement à sonner quand il s’aperçut qu’il passait et repassait le rasoir au même endroit. La peau de son cou était marquée, rouge, sur une bande d’un centimètre sur trois, au niveau de la jugulaire. Il y avait des éraflures bien visibles, qui commençaient à picoter. Deux ou trois gouttes de sang perlaient çà et là. Le surlendemain, le même incident se reproduisit. Victor prit donc la décision d’aller consulter un médecin. Ce dernier lui fit passer une batterie d’examens et finit par déclarer : « Monsieur, tout est parfaitement normal. Vous devez être un peu fatigué. Prenez quelques jours de vacances et tout ira bien. » Quelques temps plus tard, alors qu’il était face au grand miroir de l’entrée pour redresser son nœud de cravate pour une mise impeccable, comme à son habitude, il avait été comme hypnotisé par son reflet. Seulement, cette fois-là, son image s’était mise à « danser », dans la glace. Un mouvement d’abord lent, comme une ondulation douce et sournoise à la fois, s’était emparée de ses traits. Et de seconde en seconde, le mouvement se faisait plus rapide. D’un point fixe, un peu en arrière, partait une lumière qui se diffusait en une spirale dévorante. D’abord intrigué, et pensant qu’il s’agissait d’une ombre projetée par une des figures ornant le cadre, Victor avait prêté peu d’attention au phénomène. Mais le mouvement s’accentuant et ses traits s’en trouvant de plus en plus déformés, il chercha à comprendre la cause physique de ce qui se passait. Puis il prit peur. Pendant que son attention était entièrement captée par le jeu de lumières mystérieux, il serrait son nœud de cravate, sans discontinuer, sans vouloir s’arrêter, sans pouvoir mettre fin au supplice qu’il était en train de s’infliger à lui-même. Il étouffait. Il s’étranglait. Son teint était devenu cramoisi, quand un coup de sonnette annonçant le passage du facteur le tira de ce mauvais pas. Victor avait essayé de trouver des explications rationnelles à ce qui s’était passé devant le miroir, se disant qu’il devait être fatigué, ou obsédé par un dossier. Puis il s’était efforcé d’oublier l’incident. Toutefois, il avait renoncé, à partir de ce jour-là, à porter de belles cravates dont il faisait lui-même le nœud. Il avait constitué dès le lendemain, un stock de cravates nouées et montées sur élastique. (À suivre) 1 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites Plus d'options de partage...
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