Partager Posté(e) 25 novembre 2023 (modifié) « -Anthologie… C’est quoi « Anthologie de la Poésie Française » ? -Anthologie ? Ben…c’est un recueil dans lequel sont réunis des poèmes. -Ha… -C’est votre fils qui vous a offert ce joli livre ? » Silence, elle ne répond pas. Sans doute qu’elle ne se souvient pas d’où vient l’ouvrage dont la couverture rouge lui confère une place à part, parmi la multitude de documents (prospectus, livres de prières, carnet de chèque, une montagne de photos, papiers d’emballage en tout genre) qui encombrent la table. Ou peut-être qu’elle réfléchit et s’étonne qu’on lui parle d’un fils. La semaine dernière, elle se souvenait qu’elle a un fils. Elle a oublié son prénom mais son ventre parlait encore la semaine dernière… « -Je vous souhaite un bon appétit. - Merci. -Anthologie de la Poésie Française…C’est quoi : Anthologie ? … -Voulez-vous que je vous lise des poèmes ? -Oui. -D’accord. » Voyons, ce qu’il contient. Les poèmes sont classés par époques. Je feuillette rapidement et m’arrête sur : La Fontaine. Espérant trouver « le lièvre et la tortue » ou « La cigale et la fourmi », histoire d’étaler un peu ma culture, ou de me rassurer sur l’état de ma mémoire mais rien de tout ça et je me rabats sur « Le héron » que je n’ai jamais lu ou bien, je l’ai oublié. « Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où Le héron au long bec emmanché d’un long cou… » Elle dodeline de la tête au rythme de ma lecture que j’espère appliquée et sa bouche forme parfois le son de la fin d’un vers. Et soudain, sa voix s’élève et me fait taire : Ses yeux pétillants fixés dans les miens, elle déclame un vers : « La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise de rencontrer un limaçon. » Je souris d’aise moi aussi pour la magie de l’instant, jailli sans doute des tréfonds d’un souvenir d’école d’antan. « - Mangez, votre plat va être froid. -Non, je n’ai pas faim. » Mince, il ne faudrait pas qu’une boulimie de poésie la rende anorexique. Bah…certains vivent bien d’Amour et d’eau fraiche. Aimer la poésie, ça compte ! Alors, voyons… Tiens, « Le Dormeur du Val » Rimbaud, tout le monde connait ! Je lis, elle me regarde en faisant non de la tête. Quand j’ai eu terminé la lecture, je vois des larmes qui coulent de ses yeux et elle me dit : « Il est mort. Vous me faites pleurer. » Mais ce n’est pas moi ! C’est Rimbaud ! … « La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise de rencontrer un limaçon. » me dit-elle à nouveau, rompant ainsi le silence et m’offrant un sourire à sécher toutes les larmes du monde. Voyons, un petit dernier pour digérer ! Ha ! « Liberté » d’Eluard. Un poème parfait pour nouer l’espoir…à sa triste mémoire. « Sur mes cahier d’écoliers Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable de neige J’écris ton nom. » Chaque fois que je prononce le vers « J’écris ton nom » elle scande : « - Liberté ! -J’écris ton nom. -Liberté ! -J’écris ton nom. -Liberté ! » Alors que, je ne sais pas si vous vous en souvenez mais dans ce poème, le mots « Liberté » est prononcé une seule fois. Il clôt le poème. La liberté, de préférer vous nourrir de poésie Madame, qui êtes de plus en plus enfermée et perdue dans ce labyrinthe que forme votre mémoire, vous appartient encore. « -Anthologie de la Poésie Française. C’est quoi Anthologie ? -C’est un recueil qui réunit les émotions survivantes. Celles qui dorment allongées dans les herbes hautes de notre mémoire. Vous savez…un peu comme « Le dormeur du Val ». - Ha… -Mangez, votre limaçon est froid. -Oui. -Bon appétit. -Merci. » Modifié 25 novembre 2023 par Iloa 1 2 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites Plus d'options de partage...
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