Partager Posté(e) 22 novembre 2023 (modifié) Il n’envisageait pas qu’il pût être amoureux. L’amour était pour lui une chose toute physique et il n’avait que dédain pour l’amour idéal que vantaient les bardes qu’il n’écoutait pas. Il n’imaginait pas une seconde qu’il pût être épris de la reine, car, dans sa pensée, aimer c’était posséder, et l’idée de la possession d’Yvine ne lui venait pas. Cette idée se serait opposée à la fidélité qu’il devait à son roi et qui était le socle sur lequel son existence toute entière s’était construite. Il y avait bien une raison plus profonde, mais son esprit reculait. Il ne voyait pas que la possession d’Yvine la ravalerait aux amours dérisoires qu’il avait connues et à l’ironie de son existence, dont il souffrait sous un masque avantageux, ce qu’Yvine avait bien remarqué. Il n’envisageait seulement pas cet amour. S’approcher de la reine lui semblait être une infamie. Ce qu’il sentait confusément, c’est que toute sa gouaille de soldat et tout le sang qu’il avait versé ne lui seraient jamais pardonnés, qu’il ne se sentirait jamais autorisé non plus à converser avec ce qu’il avait vu de plus délicat et de plus pur au monde. Aussi jouissait-il du frisson que lui procurait la présence de cette princesse tout en se sentant coupable du plaisir qu’il en éprouvait. Enfin, il se défiait de lui-même, se connaissait pour un soudard grossier, et ne voulait rien risquer sous peine de se dégrader pour toujours à ses yeux. Il aurait voulu la voir, l’admirer sans qu’elle en sût rien. Mais ses yeux toujours se tournaient vers lui, quoique sans reproche. Il jalousait les valets, les servantes, qui la voyaient à loisir et dont le service quotidien ne lui pouvait paraître ennemi, comme devait sans doute lui paraître l’homme responsable de son exil. Cependant, les regards qu’elle avait pour lui n’étaient ni chargés de haine ni tout à fait indifférents. Quoiqu’il eût grand soin de l’ignorer, il finit par s’apercevoir qu’Assa non plus n’avait plus le pied si léger qu’auparavant. Comme il cherchait à l’oublier et que sa pensée l’évitait bien plus soigneusement qu’Yvine, car sa suivante était un reproche constant pour l’intérêt qu’il portait à la princesse, c’est pratiquement en la bousculant qu’il s’avisa de ce changement. Il fut bien contraint de poser les yeux sur elle, en s’excusant maladroitement, et rien alors ne put l’empêcher de constater que sa silhouette ainsi que sa démarche étaient changées. Il n’y prit pas garde sur le moment, mais un souvenir fâcheux se réveilla peu à peu dans sa mémoire. Il lui fallut bien admettre qu’il était sans doute pour quelque chose dans cette métamorphose. Il en éprouva d’abord de la colère, mais reconnut bientôt qu’elle était inutile au regard de son évidente responsabilité. Il n’avait jamais eu le moindre intérêt pour les conséquences de ses tendresses passagères et aucune de celles qu’il avait eues n’avait osé lui rien reprocher, ni même lui faire la moindre demande. Pourtant, il se prit à imaginer ce que ses manquements pourraient laisser penser à Yvine, surtout regardant une personne qui partageait toute sa vie, qui partageait aussi le même état et qui était la seule qui lui rappelât la patrie qu’elle avait perdue pour jamais. Il avait peine à trouver quoi faire pour l’aider. L’épouser lui était intolérable. Au-delà de la fidélité qu’il devait à son roi, il tenait à sa liberté plus qu’à la vie même. Alors quoi ? Lui faire des excuses ? Lui donner de l’argent ? L’établir en lui trouvant un mari à son gré ? Il ne savait que résoudre. Modifié 22 novembre 2023 par Sertorius Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites Plus d'options de partage...
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