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Les Nuits d'Yvernie (13)


Sertorius

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Vortimer était absent le plus souvent qu’il pouvait de la Prasine. Il partait chasser. Il ne redoutait pas tant la présence de son roi que celle d’Yvine. Elle aimait comme lui les lieux aériens. Il ne pouvait se rendre sur la terrasse du donjon sans qu’elle y fût.

Alors, mû par un pressentiment surnaturel, elle tournait ses grands yeux vers lui et restait toute droite à le dévisager. Son regard n’avait rien qui dût le mettre mal à l’aise. Pourtant, il évita bientôt de monter sur la terrasse. Pendant quelque temps, il préféra le chemin de ronde des murs de la ville qu’il empruntait dès l’aube, pour se dégourdir ; mais, malgré la distance, il voyait, au sommet du donjon, la silhouette d’une femme qui semblait suivre sa marche.

Il eut bientôt l’impression de l’éviter partout. Il ne comprenait pas quel trouble l’envahissait à sa vue ni pourquoi ses grands yeux verts le suivaient jusque dans ses rêves.

À force de fuir sa présence, des détails de plus en plus précis aiguillonnaient sa mémoire. Elle avait deux grains de beauté, symétriquement disposés, à la base de la nuque. Les rares fois où elle se prenait à sourire, ses yeux souriaient davantage que sa bouche. Elle n’avait jamais les dents serrées, c’est ce qui faisait paraître son visage un peu long. Ses lèvres s’entrouvraient légèrement lorsqu’elle inspirait, laissant voir comme des perles de nacre, attirant la lumière. Ses joues restaient pâles, mais elle avait une rougeur diffuse au-dessus du menton. Au fond de ses yeux sommeillait un lac d’eau noire, où se reflétaient des cristaux lumineux. D’autres fois, on eût dit de l’émail ou l’encre d’une enluminure sur laquelle se jouerait un rayon du soleil.

Il avait beau réfléchir, rien ne justifiait la crainte qu’il en éprouvait. Toutes les fois qu’elle le regardait, il ne voyait dans ses yeux qu’une détermination inébranlable. Il avait vu déjà des regards similaires. Souvent chez les meilleurs d’entre les guerriers qu’il avait combattus. Il n’y lisait aucun effroi, mais la lucidité du risque encouru, son acceptation et la résolution d’agir.

Elle le regardait de même, comme un ennemi digne d’elle. Jamais chez aucune femme il n’avait vu semblable regard. Il ne pouvait pourtant ni la terrasser ni la vaincre d’aucune façon. Son seul regard semblait la revendication d’une victoire sans cesse réitérée. Une victoire certaine et sans arme.

Qu’avait-elle donc à le regarder ainsi ? Il devait se soumettre à son titre de reine, n’était-ce pas assez ? Ses yeux fixés sur lui n’étaient-ils que l’expression de sa haine pour l’avoir emmenée loin de sa patrie ? Il était pourtant sous ses ordres. Que ne lui demandait-elle de la ramener chez elle ? Il tremblait de cette idée sans trop savoir pourquoi et n’osait s’en ouvrir à son roi.

Il allait seul à la chasse, sans cheval et sans chien. Le royaume était en paix et son roi requérait moins souvent sa présence. Ses expéditions ne se soldaient pourtant par aucune prise. Il parcourait les bois sans autre but que distraire sa pensée qui le ramenait toujours à Yvine.

La première fois qu’il était parti chasser, après son arrivée, il avait tué machinalement le gibier qui s’était présenté. Puis, rassasié de carnage, il avait été saisi par le spectacle des dépouilles qu’il avait entassées. Ce sanglier courait à ses amours sans souci du lendemain. Ce faisan de Colchide volait à sa couvée. Cette biche dans l’heure eût allaité son faon.

Il fut frappé de cette abondance naturelle qui avait toujours fourni à son divertissement. Depuis lors, il ne se servit plus de son arc. Il suivait les pistes pour s’éloigner de Trévar Védyne plutôt que pour tuer.

Lorsqu’il surprenait un cerf dix cors, il l’observait avec une émotion qu’il ne se connaissait pas, une larme au fond des yeux, et finissait par signaler sa présence pour jouir du spectacle de sa fuite harmonieuse.

Par désœuvrement, il essayait d’imiter le chant des oiseaux. Il tailla des sifflets, puis une flûte, selon des modèles qu’il avait vus entre les mains d’autres chasseurs ou de baladins et qu’il avait retrouvés dans quelque livre.

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