Partager Posté(e) 18 septembre (modifié) Notre belle affamée devait bien terminer son morceau. Elle n'en fut pas plus loquace pour autant et se contenta de se tourner face à la route, les bras croisés sur une ais qui enfermait les marchandises de notre bonhomme Ogier. Elle se trouvait ainsi accroupie sur la droite du conducteur et son visage n'était pas trop loin derrière lui, ce qui fait qu'il se pouvait tourner vers elle et lui sourire lorsque le cœur lui en disait. Et le bonhomme l'avait loquace, paraît-il. De plus, comme ils se trouvaient proches l'un de l'autre, Ogier pouvait profiter de ce que nous conviendrons d'appeler, n'en déplaise à notre lecteur délicat, son parfum. Pour dire les choses en gros, nous tomberons d'accord plus volontiers sur le contentement de ce cher Ogier que sur l'emploi du nom parfum pour ce qui s'épanouissait de notre loqueteuse. Vingt ans de solitude sur les routes, ça creuse… et il paraît que la belle n'était pas lépreuse sous ses haillons, ce dont notre bonhomme semblait s'être aperçu. Le bonheur filait comme le temps et il parut à Ogier qu'il en devait toujours être ainsi, lorsqu'il advint qu'un certain gendarme profila son long nez sur l'horizon que dessinait une verte colline. Ce brigadier en brigandine n'était pas embrigadé de la veille et connaissait depuis longtemps compère Ogier. Il avait nom Martin et ne partageait pas la philanthropie de son homologue canonisé. Lorsque son nez délicat lui fit connaître qu'il croisait Ogier, il l'avertit aussi que la cargaison était nouvelle avant même qu'il aperçût la demoiselle. Il flaira davantage, ainsi qu'il est d'usage chez tout patrouilleur qui se respecte. Il arrêta sa monture en travers du chemin, ce qui sortit ce brave Ogier de sa félicité. - Holà, sire Martin, le héla-t-il – car Ogier donnait prudemment du sire à tout ce qui portait lame, ce qui lui avait fait échapper à bien des brigands trop surpris du titre pour ne pas faire grâce à notre bonhomme. En quoi puis-je aider la bonne milice de notre Seigneur ? - Ogier, répliqua le gendarme. Vous avez là du nouveau à ce qu'il semble. Le visage de la passagère s'enfonçait progressivement parmi les tonneaux, tardivement pour sûr, mais il paraît qu'elle avait eu déjà maille à partir avec ces godelureaux de porte-épée, tueurs à la solde et buveurs violents qu'Ogier appelait avec une déférence quelque peu outrée « la bonne milice de notre Seigneur ». Ce n'était pas là l'attitude qui eût pu dissuader le sire Martin de ses velléités instigatrices. Aussi son sourcil droit prit-il une altitude inquisitrice. Il mit sa jument pie au pas et s'approcha de la charrette. Son regard y plongeait avec insistance comme celui du milan qui épie sa proie. La pauvre enfant se ramassait sur elle-même tant qu'elle pouvait sous ce regard hostile. - Je gage, compère Ogier, que la ribaude a quitté le fief de son seigneur ou quelque mauvais lieu sans l'agrément de son propriétaire. Cette marchandise me paraît fort suspecte. - Sire Martin, tenta le bon apôtre, vous n'êtes pas sans savoir que le servage n'est plus de mise dans les seigneuries circonvoisines. - Qui te parle de servage ? Je parle de franchise, de droit de passage et des devoirs que l'on doit rendre à qui fournit le gîte et le couvert. M'est avis que cet oiseau-ci, sorti de sa cage, n'a pas remboursé ce qu'il doit. Peut-être même y a-t-il quelque larcin là-dessous… - Sire. Voyez vous-même. Il n'y a pas une poche à sa chemise et elle n'a rien que ces sales draps sur elle. Que moi-même j'y ai dû donner quelque morceau pour qu'elle ne me mange pas la couenne. - Elle est bien misérable en effet, ce qui me fait dire qu'une pareille diablesse n'est pas sans avoir un patron. - Si fait, doux sire, le soleil, le grand air, voilà-t-il pas des patrons, et des meilleurs ? Modifié 18 septembre par Sertorius Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites Plus d'options de partage...
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