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Ogier (1)


Sertorius

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C'était un joyeux drôle que le compère Ogier, Ogier de Reims, charretier. Il était pansu, chauve, un peu ridé et hâlé par le soleil, portait force oripeaux tâchés de toutes les façons, si bien qu'on ne savait à le voir ainsi attifé quelle pouvait être sa condition.

C'était une bonne charrette que celle du charretier. Tout y était entretenu à l'aune des lambeaux dont s'accoutrait ce cher Ogier. Ainsi, nulle pièce ne reluisait et l'on voyait, sur tous les points de cette pauvre chose, la saleté, la boue et l'usure des chemins, jusqu'à l'âne qui tirait le tout, vieux, perclus et qui portait, par dérision, le nom de Magister comme une charge supplémentaire.

Cet ensemble piteux servait au transport de bons tonneaux de vin à destination de quelques moutiers miteux de Compiègne et de ses alentours. Ces tonneaux étaient sans doute la seule chose un peu respectable dans ce récit, aussi pesaient-ils de tout leur poids sur cette charrette, ce dont l'âne s'était avisé stoïquement en constatant l'inclinaison des quatre roues.

En jetant sur cette noble cargaison un œil ordinaire et peu scrupuleux, le compère Ogier avisa malgré lui un morceau de tissu qui dépassait. Il monta dans la charrette qui, n'en pouvant mais, émit un grincement de désespoir, s'approcha et tira sur le morceau de tissu qui traînait. Au bout de ce morceau, il y avait une personne et qui était plus mal fagotée, si tant est que ce fût possible, que notre drôle de charretier.

- Que diable ! houspilla-t-il d'une voix blanche et heurtée, car de surprise, il avait chu sur son séant.

- … , souffla l'inconnue, car il est vrai que ses traits recelaient quelque féminité, à moins qu'il ne s'agît d'un enfant, mais non… En dépit du délabrement de l'ensemble et de l'émotion suscitée par cette rencontre inopinée, ce cher Ogier reconnut bien une jeune femme sous ces haillons plus crasseux que les siens, ce qui ne laissa pas de l'étonner – c'est-à-dire qu'il était bien conscient de l'état de ses frusques.

- Que faites-vous là ? tenta-t-il d'aboyer avec une autorité chancelante, au moment de se dresser sur la charrette geignante.

- Pfff …

Pour être tout à fait honnête, quand bien même Ogier n'était que charretier, il devait bien convenir que ses loques seyaient à la dame et que sous sa crasse, se dessinaient les traits d'un visage fort aimable. On imagine sans peine tout ce que l'esprit tortu d'un charretier, dont le métier consistait à transporter depuis vingt ans les mêmes cargaisons aux mêmes endroits, esprit dont la subtilité s'était épanouie au grand air ou dans les tripots que le bon Dieu plaçait sur son chemin, put concevoir de tendre et de nouveau, dont la rencontre sus-mentionnée lui paraissait un naturel prélude.

- C'est du poulet ! Lui-dit-il en tendant un pignon qui traînait dans une poche dont l'état de désuétude eût repoussé le plus vilain manant.

Mais comme notre lecteur aura constaté la couleur médiévale de notre récit, il ne s'étonnera pas de voir cette belle demoiselle se jeter sur la nourriture tendue par le charretier, sans considération aucune pour l'hygiène douteuse de ce genre particulier de conservation alimentaire.

Comme la jolie loqueteuse ne le payait pas de paroles. Il prit tout simplement les rênes de sa charrette. Magister mit en branle ce qui lui restait de force physique et la charrette prit mollement la route de Compiègne.

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