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Safari fatal


Joailes

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Je n'irai probablement jamais dans la savane africaine ; quoiqu'on en dise, jamais n'a rien à voir avec une fontaine, surtout quand il fait soif et qu'il n'y a plus d'eau.

Je me suis donc offert un petit safari à cent trois kilomètres de chez moi ; après moult consultations de prospectus vantant les beautés de parcs animaliers de plus en plus sophistiqués qui poussent un peu partout, où l'on peut faire des photos sans crainte d'être mangé, avec la clim' et tout et tout.

 

Je m'étais équipée d'une saharienne et d'une besace sur lesquelles ma voisine Adrienne avait louché d'envie dans le hall de l'immeuble où l'on s'était croisées, elle en pantoufles et bigoudis, moi en grosses chaussures de marche et treillis, alors que j'attendais un taxi.

 

Je m'apprêtais à vivre une aventure ; j'avais loué pour l'occasion un lodge, dont les vitres étaient si propres qu'elles semblaient inexistantes ; un instant j'ai pensé au Cambodge mais c'était tellement loin, comme les étoiles dans l'univers, comme le fond de mon verre où luisait un cocktail très cher.

 

La nuit commençait à poindre en allumant çà et là des lumières tamisées et la batterie de mon appareil photo clignotait ; j'avais abusé de la girafe et de son immense langue, c'est souvent ainsi que finissent les photographes amateurs qui ont besoin de prises en temps et en heure.  

A travers mes jumelles à infrarouge, j'observais deux hommes qui marchaient sans hésitation entre les arbres, comme les braconniers que j'avais surpris une fois dans la garrigue, qui avaient bouffé toutes les figues du château de ma mère.

L'un d'eux portait un fusil sur son épaule, l'autre une mallette au contenu inconnu.

Les singes offusqués poussaient des cris stridents et l'air était chargé d'odeurs diverses que je ne parvenais pas à définir ; j'étais hypnotisée et mes dents claquaient.

 

Soudain, je Le vis.

Majestueux, royal, magnifique, il avançait à pas feutrés avec une élégance de danseur étoile à son premier ballet.

 

L'homme au fusil ajusta son tir et pressa la détente.

Une seule fois.

L'animal s'écroula dans un râle entre les herbes hautes.

J'aurais voulu hurler mais je restai aphone, comme dans les cauchemars où l'on voudrait bien appeler à l'aide ou réserver une place au club Med* entre palmiers et eau turquoise, sachant que c'est trop tard et que tout est complet, que t'as envie de crier Med mais que tu es muet et que tu manques d'air. 

 

Ils enjambèrent la clôture et lui ouvrirent la gueule avec des gestes sûrs d'habitués.

 

Le vétérinaire arracha la molaire cariée en quelques minutes, avec des gestes si précis que j'en fus toute retournée.

Ils enjambèrent de nouveau la clôture en sens inverse.

 

Le lion poussa un rugissement de toute beauté, je suis sûre qu'il disait merci.

J'étais soulagée, j'ai fait pipi.

 

C'est alors que je m'aperçus que j'étais accroupie à côté de lui et qu'il me regardait sans aménité.

Il n'avait plus la rage aux dents, ce qui n'était pas à mon avantage.

S'il avait faim, j'étais foutue …

Je crois me rappeler que pour une anesthésie, on doit être à jeun depuis la veille.

 

 

(joailes – 23 mai 2023)

 

* Le club Med, né en 1950, venu d'une idée pionnière : vacances sport et nature en plein air, dans une ambiance décontractée.

 

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