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Conversations avec le capitaine (6)


Thy Jeanin

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          L’été toujours était pour le capitaine un moment des plus difficile.

 

          Il craignait l’aridité. « Mauvais, me dit-il un jour, pour les cargaisons séminifères. Je redoute la cale sèche. »

 

          Par le hublot, dans sa péniche, il jetait un coup d’œil mélancolique. Deux joggeuses foulaient l’herbe haute de la berge.

 

          « Même les sirènes me laissent indifférent, dit-il d’un air consterné. Autrefois, je rêvais de m’empêtrer dans la mer des sales garces.

 

          - Oh ! Capitaine, vous, si sagace… »

 

          Mon capitaine prit un air songeur.

 

          « Oui, l’été, mon petit, reprit-il au bout d’un temps ; je crains l’étoc, les bancs de sable… Tiens, fait soif, ajouta-t-il.

 

          A ma grande surprise, il ne se versa ni bière, ni alcool fort, mais se fit un café et m’en proposa un.

 

          « Vois-tu… oui, l’été, je tente le tout pour le tout. J’essaie de m’arracher des marais où l’on croupit pour des horizons pélagiques…

 

          Mais j’ai bien du mal. Et avec ces bouleversements climatiques, rien n’est sûr…

 

          J’essaie tout, répéta-t-il en sirotant son arabica. Certes, finis les voyages au long cours. Alors, que reste-t-il ? Le yacht ? Le canot ? Même le radeau serait préférable à cette inertie. La bouée de sauvetage ! Tu sais que j’ai autrefois piloté un hydravion, un aéroglisseur, sans aller ma foi bien loin ! J’ai même, dans une bande dessinée, cherché la lune.

 

          - Capitaine, l’interrompis-je sur un ton de reproche. On ne me la fait pas ! Pas de blague Carambar, je vous prie, vous déclencheriez l’ire d’Héloïse Maubert. Revenez sur Terre !

 

          - C’est justement ce que je veux fuir, éclata-t-il. Ou alors…

 

          - Alors ?

 

          - Je veux le piloter moi-même, ce grand vaisseau planétaire !

 

          - Capitaine, votre ambition vous égare ! N’êtes-vous pas douillettement installé dans cette fringante péniche où vous goûtez une retraite bien méritée ? »

 

          J’embrassai ce disant d’un coup d’œil panoramique le salon resplendissant où nous échangions ces paroles.

 

          « Pas mal, admit-il. Un Moulinsart flottant. Mais j’aimerais encore mieux faire le pirate sur le lac Léman ! Je m’ennuie. Plus précisément, j’ai vieilli. Où est le temps où je nageais dans les eaux en crue de mes hormones ! soupira-t-il.

 

          - Ce n’est guère aisé, je le conçois » rétorquai-je.

 

          Je sortis de ma besace un livre relié cuir.

 

          « Pour stimuler votre goût de la narrature, déclarai-je, voici de quoi lire : de Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître. Une pépite du siècle des Lumières.

 

          Il jeta un coup d’œil.

 

          « Bien sûr, tout est écrit là-haut, dit-il d’un air entendu. Mais nos amours sont-elles terminées ? »

 

          Il me regardait fixement et je sentis comme un frisson me chatouiller l’échine.

 

          « Mon petit ami, j’ai pris la décision de naviguer en eaux… disons… saumâtres.

 

          Les bas-fonds, fit-il d’un regard perçant. Les abysses, vois-tu ? »

 

          Cette déclaration ne m’étonna qu’à demi. Venant de mon capitaine, homme à ne se résigner à rien, elle était même de bon augure.

 

          Gardant un air profond, il retira sa casquette. Je vis alors une fascinante chevelure blonde se libérer sur ses épaules. Il avait retenu quelques mèches avec une astérie purpurine en guise de broche.

 

          C’est alors que je remarquai que mon interlocuteur était glabre, contrairement à ses habitudes. Par ailleurs… bon sang ! cela ne m’était pas apparu, tant je m’étais fait à le trouver chez lui en robe de chambre, particulièrement l’été : le capitaine était vêtu d’une ravissante robe bleu marine unie, qui laissait voir des jambes épilées, loin d’être dépourvues de charme, en dépit de son âge. Par ailleurs, je le remarquai enfin, ses mains étaient soigneusement manucurées.

 

          Il évasa de l’index, par un geste bref et aérien, un col si lâche qu’il découvrait à demi son épaule. A la naissance de son cou, un petit grain de beauté lui faisait une délicieuse coquetterie.

 

          « Jeune homme, me déclara-t-il, j’ai choisi, vraiment, d’autres eaux… »

 

          Il m’adressa un sourire enjôleur :

 

          « D’autres hormones. »

 

 

 

 

Modifié par Thy Jeanin
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