Add Comments/Reaction First Last Add Comments/Reaction First Last

Il n’y a aucun commentaire à afficher.

~ Les commentaires sur les sujets sont uniquement visibles des membres de notre communauté ~
Rechercher dans
  • Plus d’options…
Rechercher les résultats qui contiennent…
Rechercher les résultats dans…

Doit contenir au moins 3 caractères.

Aller au contenu

Dysphorie


MaiaPardalis

Messages recommandés

En cette soirée de miel s'annonce une mission prometteuse. Sous les feux, devant la foule émerveillée, se dévoile le fuselage, engoncé dans ses lignes dures de métal, alliage de l'Homme et de son avenir, fleuron de millions d'années de génétique, engagé dans une lente valse avec son lanceur.

 

À bord, le capitaine, malgré son expérience, reste tendu. Un pressentiment le retient d'initier la séquence de lancement. Il ne le sent pas. Il a comme la vague impression qu'il va passer à côté de sa vie. Mais il se ravise. Il a été sélectionné pour son sang froid, il est fier des années de dur labeur à développer sa capacité à ignorer ses angoisses. Allez Maïa se dit-il, il faut bien vivre pour voir le jour, n'est-ce pas ? Sinon, autant rester chez soi dans sa solitude...

 

Les ingénieurs, dans leurs salles obscures, affutent leurs crayons des dents. Ils savent. Ils connaissent inconsciemment les infinies raisons qui peuvent plonger toute entreprise dans l'échec. Mais la nature humaine est ainsi faite que dans ses circonvolutions et contre mesures techniques, tout finit fatalement par rentrer dans le cahier des charges. Car rien ne peut gripper un hamster dans sa roulette.

 

La fusée s'élance, s'arrache à la gravité de sa condition. Sous la contrainte aérodynamique, elle vibre, gémit, s'échauffe, se déforme, se froisse. Mais elle suit la trajectoire prévue comme les autres missions avant elle. L'exécutif se cligne du coin de l'oeil. Toutes ces chochottes... Ça prend un paquet comme pas deux pour faire avancer les choses. Ce sont des hommes mon fils.

 

L'ordinateur de bord détecte pourtant une erreur obscure, comme bien souvent. Un rivet soumis à une turbulence excessive, cède soudainement. La carlingue se déforme, prend des rondeurs, se rêve de courbes, se rebelle contre ses contraintes qui l'engoncent. Le microcontrôleur corrige pourtant la dissonance, et parvient à remettre l'ensemble dans la trajectoire.

 

Appollo 11 a pourtant bien survécu à l'erreur 1202... Donc l'ordinateur ne remontera pas une erreur qu'il juge bénigne. Le pilote ignore le drame qui se déchire à rivets feutrés. Il se risque à une blague de circonstance, pour la postérité. Il en faut pour manier cet engin. Et tant pis si ça s'effoire dans la boîte noire. Pourtant, il a un je-ne-sais-quoi de chienne. Il sent qu'il va passer à toute vitesse à côté de sa vie. L'aile progressivement se déchire, l'ordinateur se démène pour maintenir le cap. Le fuselage se décroche, morceau par morceau, puis finit par transpercer le lanceur.

 

Tout à coup survient le scénario inimaginable des ingénieurs. Dans une bouffée d'euphorie, la carlingue se désintègre à toute vitesse. Le capitaine, seul maître à bord, prend conscience et active frénétiquement toutes les manettes, comme pour chercher à garder la main sur quelque chose. Il ne lui reste pourtant déjà plus que le cockpit. Rien ne lui répond plus. Le fuselage s'est mu en incandescence. Dans les bordels paniqués et les putains répétées des fils déchiquetés, il comprend qu'il passe à toute vitesse à côté de l'océan de sa vie.

 

Au sol, les experts sont unanimes. La suite ne passera pas par quatre chemins: La catastrophe sera balistique. L'alliage de l'Homme et de son avenir, fleuron de millions d'années de génétique, aura son apogée, et puis sa lente descente finale en condensation dans la gravité de sa condition.

 

Les ingénieurs étudient, l'exécutif se renvoie la responsabilité, se cherche un verbiage de circonstance. Ce n'est pas tant que le système était défaillant... Il était seulement utilisé en dehors de ses spécifications. Soumis à une condition qui n'était pas la sienne, dans un esprit d'uniformisation, par excès de confiance et d'un certain esprit d'universalisme, le tout saupoudré d'absolu... Peut-être devait-on d'abord chercher l'essence d'une fusée...

 

La carlingue avait pourtant naturellement compensé sa dissonance. Les forces couplées ramenaient tranquillement sa dysphorie dans des proportions acceptables. Sa phobie était proportionnelle à celle exercée par ses contraintes extérieures. Mais voila. Sa nature s'est rappelée à elle, et a pris conscience de sa fragilité. Le stress s'est accumulé, et les effets indésirables ont pris le dessus.

 

Heureusement, l'agence, forte de ses échecs passés, met dorénavant la vie et le bien être au dessus du prestige. Après une longue descente en enfer, le cockpit déploie enfin ses parachutes pour amerrir en douceur. On repêche l'équipage qui en sera quitte pour une belle frayeur. Dans la salle de débriefing, on explique à une femme et une enfant que ce n'est pas leur faute. Que les lois de la nature sont inéluctables. Et que l'on ne peut en corriger que ses effets.

Modifié par MaiaPardalis
  • Merci 2
  • Surpris 1
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

×
×
  • Créer...