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La boulette de trop


Joailes

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... Déjà le mois de mai, se dit Huguette, en cueillant des herbes pour faire des boulettes, comme tous les vendredis.

Le ciel était tout gris, comme ses bas de laine qu'elle n'avait pas encore quittés.

Il ne fait pas vraiment chaud avant le mois d'août et encore, dans cette région du nord, ce n'est jamais la canicule, le sud promis ne verra jamais le jour.

 

D'ailleurs voici Armand, son époux, qui sort sans lui jeter un œil.

Elle le trouve ridicule, elle a un haut-le- cœur, un trop plein de rancœur. 

Elle vomit de la bile. 

 

Elle se souvient des premiers temps, quand il la courtisait selon les principes du sacrément affriolant sacrement ; elle le trouvait charmant. 

Il venait à la maison, le soir, jouer à la belote avec son père ; comme il le laissait gagner depuis de longs mois, quand vint le temps des griottes, il lui fit sa demande ; le père conquis, ouvrit un flacon de sirop d'amandes qui faisait bien ses quarante degrés à l'ombre.

L'affaire fut rapidement conclue, en mai Armand et Huguette se dirent oui à la volée ; on fit la fête tout l'après-midi ; regardant son mari, elle avait hâte maintenant de se retrouver seule avec lui, avec tout ce qu'il avait promis durant la cérémonie, elle allait être heureuse.

Bof, s'était-elle dit après la nuit de noces, elle s'en souvient encore, il y était allé fort mais elle était très déçue.

 

Et puis le temps a passé, Huguette n'a plus rêvé.

Armand resta étranger autant qu'étrange ; elle ne savait rien dire, son père était pareil ;  il adorait la treille mais avait oublié sa fille et ne lui avait rien appris. 

 

Son amour, c'est son petit jardin qu'elle bichonne du soir au matin et il le lui rend bien.

Chaque saison, depuis le printemps jusqu'à l'automne, ils sont main dans la main. 

 

Armand, ce soir là, redemanda des boulettes tant elles étaient savoureuses ;  elle vit presque une lueur dans son regard, mais pour ne pas s'apitoyer inutilement, elle chassa cette idée en rajoutant une dose de sauce. 

 

Le soir tombait, elle alla faire le tour de son jardin secret.

 

Tout au bout, béait un trou.

 

L'heure est venue, chantonna Huguette.

 

Elle alla chercher la brouette.

Elle chargea Armand et le jeta dans la fosse où des squelettes en string, parés de violettes commençaient à s'impatienter.

Avec sa grande pelle achetée le dix-huit juin à la foire de la toxine botulique, elle referma proprement le trou.

 

En juillet, elle ferait couler du béton ; elle voulait une tonnelle avec de la glycine et des rosiers, une petite table ronde en fer forgé avec deux chaises assorties où elle pourrait manger tout à son aise avec son meilleur ami, le commissaire divisionnaire Jean L'ouïe, qui décrétait toujours : « des gens sont partis sans dire aurevoir, quels malpolis ! Oublions les ! »

Et c'est ce que tout le petit monde d'un village aussi tranquille faisait ; pour eux tout n'était que de passage, ils ne retenaient ni les noms ni les visages, bien trop occupés à mener leur ménage.

 

Minuit pile, se dit Huguette, enfin tranquille !

 

Et Dieu sait qu'elle l'était !

 

La lune semblait contente et jetait des lumières phosphorescentes sur le jardin qui avait revêtu son habit d'innocence, où des enfants auraient dû  courir jusqu'à l'adolescence, si seulement Armand n'avait pas cumulé les boulettes. 

 

Elle balança dans l'âtre les reliefs restants et sortit du congélateur un plat qui se mange froid.

 

Avant que d'aller le déguster en silence près du verger et de la vigne, elle jeta sa bible dans le feu.

 

 

(joailes – 14 mai 2023)

 

 

Modifié par Joailes
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