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Le destin des clans rêveurs


Joailes

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Un passager s'est fait houspiller, le pauvre, il voulait absolument voir la Tour de Pise mais n'avait pas d'argent ; le contrôleur aurait pu faire semblant de ne pas le voir, le laisser passer ou même, encore mieux, lui offrir son billet pour aller vers sa terre promise …

J'en déduis que le contrôleur n'a pas de cœur ou qu'il n'a pas le temps d'écouter des histoires de passagers au baluchon tordu sur un bâton où les coups ont plu ; plus de pan-pan cucul que d'écus, et le parfum, malgré tout, d'autre chose ;

je me suis levée, ai payé le billet, et j'ai écouté, sachant que pour toute arrivée, il y a un départ.

Quelle merveilleuse histoire ai-je reçue pour quelques billets !


 

C'est arrivé sept fois et par égard pour le contrôleur qui perdait facilement le contrôle de soi, enfin de lui, j'y ai laissé toutes mes économies.

C'est marrant le destin, bien avant d'arriver à Pise, j'avais payé les billets de tout un clan de pauvres bougres et j'avais dans mon carnet exactement sept histoires ordinaires que je garderai pour cet hiver quand le froid aura de nouveau gelé mon cerveau.

Ça valait bien d'être fauché comme le blé ; pour l'heure, c'était l'été ; moi aussi je voulais voir la Tour de Pise et je penchais vers toutes ces têtes reconnaissantes qui me faisaient la bise, j'avais encore quelque argent et on a pu manger des hot-dogs avec plein de moutarde sous le nez du contrôleur qui la sentait monter, je me suis retenue de lui demander s'il avait son billet pour Dijon.

Il y a des moments dans la vie où l'humour n'a pas cours, je l'ai compris très vite après un calembour mal placé qui me valut trois mois de guérite à effeuiller des marguerites, que je n'ai pas oubliés ; c'est très bête de compter sur des pétales la force d'aimer, mais j'y fus obligé pour occuper le temps et payer mon voyage.

C'est ainsi que remplissant mon bas de laine, au fil du temps et des étrennes, j'eus l'idée de partir .

Mes nouveaux amis étaient plus portés sur la chose qui traque le morose ; on a fait un concours de blagues un peu lourdes, j'en conviens, mais qui valaient leur pesant d'or dans un train où l'empathie est sourde.

Un roi de l'humour noir ruait dans les brancards il parlait d'une rose qui se métamorphose en cafard, on a tous compris l'allusion.

Dans un coin du wagon, j'aperçus une femme obèse qui nous regardait en gloussant, et je l'invitai à se joindre à nous.

Vous allez à Pise ou bien à Lourdes ? lui demandai-je

Elle parut gênée et pour lui détendre l'atmosphère, j'ajoutai :

Avez-vous deux billets ?

On a tellement ri que ça faisait du bruit et voilà que le contrôleur dans un accès de grande fureur, se mit à gesticuler derrière la vitre du compartiment avec de la bave aux commissures, ce qui est signe avant-coureur de maladie du cœur et la femme cria :

- Ciel, mon mari !

Au même moment, le train s'arrêta.

On a ramassé nos sacs en vitesse, bousculant les passagers empêtrés dans des contrôles sans fin, on a tous sauté sur le quai.

Au loin, il y avait bien une tour de guingois, et on s'est tous émerveillés d'être bien arrivés pour voir ça.


 

Mais quand je me suis réveillé, il y avait une femme au-dessus de moi, penchée, qui criait :

- Voici ton père, t'as intérêt à avoir fait tes devoirs !

- Oh maman, je te fiche mon billet qu'il n'est pas de bonne humeur ce soir ; si tu voulais m'aider, me sauver la mise, je t'emmènerai demain voir la Tour de Pise !

Tu parles !

Je me suis pris une branlée, j'ai appris de nouveaux mots, des noms d'oiseaux et on m'envoya me coucher sans rôt.

Soudain une femme et sept petits nains firent irruption dans mon cachot et m’entraînèrent vers la gare où attendait le train pour Pise.

Mais quel cauchemar, que je vous dise, en montant dans le train j'ai vu le contrôleur qui virait les passagers clandestins, c'était son métier, notez bien ; mais je n'avais plus de quoi payer les billets de mes copains, je me disais c'est quand même drôle le destin, qui va payer le mien ?

Les contrôleurs font s'écrouler les Tours de Pise mais on peut aller jusqu'à Venise, sur les canaux, avec un gondolier qui nous a aimés aussitôt et ce fut bien réciproque ; à l'orphelinat on avait de la famille au moins, qui ne nous demandait pas nos billets.

Dans un coin, il y avait une femme bien habillée, et dans sa main brillait un millésimé.

Cela fait bientôt mille ans, en effet, qu'on n'a plus vu de contrôleur sur ces terres inexplorées où les vaches ne regardent plus les clandestins passer comme s'ils allaient leur piquer tout leur lait ; les rails enfouis sous l'herbe haute chuchotent des histoires qui semblent irréelles pour ceux qui ne rêvent jamais.

Z'avez votre billet .. ?

Le train va démarrer.

(joailes – 10 mai 2023)


 

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