L'examen (Brouillon d'origine)

[Joailes]

 

 

C'était une nuit de morts vivants, de vivants plutôt morts ; un verbe et son sujet avaient payé un complément pour assister à la dernière, "the last" disait-on outre les manches de vieilles chansons des Beatles dans la salle comble du théâtre littéraire où, par hasard, je me trouvais avec une amie qui me voulait du bien, le soir d'un jour où j'avais dû ramer sur toutes les galères d'un vendredi treize.

La plupart du peuple n'aime pas le lundi je ne sais pas pourquoi ni même pour qui ; moi, c'est le vendredi, ce qui me valut une grosse dispute avec Robinson, il y a fort longtemps, quand les îles étaient désertes, mais ceci est une autre histoire ; là c'est trente, un lundi, en l'an deux mille vingt-trois et janvier s'en va demain soir , il fait un pot de départ et si ça dure jusqu'à très tard on accueillera février, ça me rappelle toujours la grande vadrouille quand Gabin essayait de le retenir, ce foutu mois de ̶m̶e̶r̶d̶e̶ Janvier d'il était une fois qui ne finit pas heureux avec plein d'enfants dans le pieu.

On fera des crêpes avec nos semelles pour s'éclipser loin des histoires trop longues. 

« Faites plus concis !! » m'a-t-on tellement dit.

Moi qui ne parlais pas, j'en disais trop.

 ̶m̶e̶r̶d̶e̶ ̶a̶l̶o̶r̶s̶ faudrait savoir.

« Faites attention à vos inventions ! » m'a-t-on tellement seriné.

Et le serin sur sa branche continuait de chanter.

Incontinente d'encre, limite delirium très mince, toujours au fond de la classe mais près de la fenêtre, (Dieu merci)  ; je voyais bien que les hêtres avaient été condamnés eux aussi à ne pas être ceux qu'ils étaient vraiment, alors je me suis résignée rapidement à écrire dans ma tête ; il y avait de la place, de l'espace sans fin que je basculais derrière mes paupières pour avoir de la vue à l'œil.

 

J'en reviens à ce soir là, donc ; fais concis, ̶p̶u̶t̶a̶i̶n̶ ce leitmotiv qui me ̶f̶a̶i̶s̶a̶i̶t̶ ̶b̶i̶e̶n̶ ̶c̶h̶i̶e̶r̶ revenait ; j'avais un examen à passer, l'atelier était bondé et j'étais motivée.

Nous étions treize à nous dévisager ; quelques regards de braise m'avaient effleurée faisant des étincelles au bout de ma plume aiguisée à fond.

Entre mes rêves, mes fantasmes et mes délires j'avais largement de quoi écrire jusqu'à ce que la pendule explose, vaincue.

̶m̶a̶i̶s̶ ̶d̶é̶j̶à̶ ̶j̶'̶e̶n̶ ̶a̶v̶a̶i̶s̶ ̶p̶l̶e̶i̶n̶ ̶l̶e̶ ̶c̶u̶l̶.̶

̶L̶e̶ ̶m̶i̶l̶i̶e̶u̶ ̶m̶'̶a̶g̶a̶ç̶a̶i̶t̶.̶

Sur le bureau où nos copies allaient s'amonceler quand le clairon sonnerait, la langue française, rouge comme une fraise, attendait sa crème chantilly qui aérait le château en jetant par-dessus bord son accent circonflexe, comme pour lui dire que pour écrire tout est permis.

Je l'aimais tant cette langue qu'en passant devant elle j'ai fait la révérence ; elle avait encore ses bigoudis et ses bâtons d'enfance mais comme elle était dégourdie elle acceptait les offenses.

On ne lui demandait plus son avis, tout était d'évidence, elle en avait pris son parti.

En vieillissant, son latin lointain sentait le sapin et elle avait rajeuni.

Elle était encore plus belle sous son ombrelle où se cachaient des raccourcis et des lettres aspirées comme chez les handicapés.

̶p̶a̶s̶ ̶d̶e̶ ̶l̶i̶a̶i̶s̶o̶n̶ ̶a̶v̶e̶c̶ ̶c̶e̶s̶ ̶g̶e̶n̶s̶ ̶l̶à̶

La dictée nous attendait au tournant, sournoise, mais elle ne me faisait pas peur, j'étais tombée dans sa marmite étant petite ; la rédaction de blanc vêtue, dame blanche au prochain virage me faisait déjà des clins d’œil et le jury impatient, composé d'analphabètes en grande partie, mangeait des cacahuètes, regardant la pendule en se ̶g̶r̶a̶t̶t̶a̶n̶t̶ ̶l̶e̶s̶ curant les dents.

Les minuscules fluettes violettes n'en menaient pas large comme un jour de rentrée sous un préau et sur les starting-blocks où les majuscules majestueuses soignaient leurs cloques sur des questionnaires idiots on devait écrire en deux mots le pourquoi du comment. 

Il fallait dire qui on était avant que d'être quelqu'un.

Les lignes étaient faciles, nom prénom, profession des parents, adresse du domicile mais ensuite tout se complique  ̶e̶t̶ ̶ç̶a̶ ̶f̶i̶l̶e̶ ̶d̶e̶s̶ ̶c̶o̶l̶i̶q̶u̶e̶s̶

Une vieille matrone, marquise de la Conjugaison, assise sur un trône et sur son passé, avec son air impératif avait mis pour l'occasion une robe du futur en mâchant de la réglisse qui lui mettait du noir aux commissures, ce qui faisait frétiller le commissaire des adjectifs, soûl, rétif et en mal d'aventure.

La reine d'Orthographe, reine des gaffes, agitait son éventail avec nonchalance et son face-à main, face à moi, reflétait la cour des miracles ; les mots amputés, paralysés, aveugles, se débattaient sous sa longue jupe de soie où quelques possessifs avaient essayé de mettre la main sans succès et sous peine de soufflet.

L'atmosphère devenait lourde mais le miracle pouvait encore arriver. 

Un vieux qui avait participé à mon passé se grattait la barbe en souriant et le top fut donné.

 

Pour écrire chronomètre, anacoluthe ou même cyclopentanoperhydrophénanthrène, je n'eus aucun problème.

J'ai rendu ma copie sans rien corriger.

Le juge assis tout au bout du pupitre qui tape du marteau fait dans le définitif.

̶d̶e̶ ̶q̶u̶o̶i̶ ̶s̶'̶a̶r̶r̶a̶c̶h̶e̶r̶ ̶l̶e̶s̶ ̶t̶i̶f̶s̶

Je n'ai jamais compris pourquoi quand on veut être écrivain on doit se confronter à toutes ces barrières sévères et à tous ces chiffres vains qui s'ajoutent pour mieux se soustraire, pour se multiplier soudain en totale division.

La dernière épreuve portait bien son nom dans la salle Thalès de Milet où j'ai été, bien sûr, recalée.

Là, pourtant, j'avais fait très concis.

 ̶P̶U̶T̶A̶I̶N̶ ̶D̶E̶ ̶M̶E̶R̶D̶E̶

(joailes – 30 janvier 2023)

 

Modifié 31 janvier 2023 par Joailes