La Comtesse de Bécu Corfou c'est fini (4)

[Joailes]

(La Comtesse de Bécu, suite et fin)

 

Les pressés, les furieux du pétard n'ont pas attendu minuit alors tout a vrombi.

J'ai cru qu'il était l'heure d'en finir ;  réveillée en sursaut, j'ai mis mon plus bel habit et suis allée chez la voisine tandis que le voisin mangeait du raisin sur son balcon de hobbit et que la concierge avait déjà brûlé dix cierges, implorant les cénobites et faisant retentir l'alarme  de sa loge, pas de fumée sans feu, avaient dit les pompiers. 

Ma pendule avait vendu son âme à un horloger en même temps qu'Ursule, une vieille amie ; il faisait très nuit, j'ai vraiment cru que c'était la fin et d'ailleurs j'avais hâte d'en finir avec cette année qui avait si mal commencé et qui n'en finissait plus de m'ennuyer (et je suis polie)

Quand j'ai sonné à la porte d'un doigt discret, trois paliers plus haut, j'étais très en avance et j'ai reçu des remontrances de bas étage, des noms d'oiseaux peu exotiques qui se balancent sous les portiques en tintant leurs grelots.

Le chat, sous mon bras, s'agitait, son silence gâché. 

Rien n'était cuit malgré le fort fumet ; je me suis confondue en excuses et avec quelqu'un d'autre en passant devant le miroir du couloir.

J'aurais dû refuser l'invitation hypocrite qui n'accepte les gens qu'à la bonne heure, pas le droit à l'erreur. 

 

D'un commun accord, avec mon chat Belphégor, on est repartis chez nous presque en courant et en se bouchant les oreilles ; dès arrivés, on a mis Mozart à fond sur une blonde platine égarée dans notre salon, qui m'a rappelé Marilyn, si seule, et puis on a fait la fête comme ça, en mangeant des croquettes au clair de pleine lune.

Dans le monde de l'autre côté, tout continuait à péter, les pétards, les colères, les regrets … et le château n'était que ruines. 

 

On a mis nos boules qui est-ce, ah c'est toi et on s'est enlacés, il faisait chaud dans le panier ; nous étions enfin seuls, une petite partie de colin maillard et l'on s'est reconnus malgré le blizzard et les pressés du pétard qui adoraient le bruit, décidément.

Il n'était que vingt trois heures zéro quatre au cadran et ils avaient déjà épuisé leurs airs fêtards ; ce ne serait pas encore cette année que les vœux seraient frais.

Au loin, un certain Balthazar ramenait des fèves du marché noir, avec pour point de mire, de l'encens.

 

Quoiqu'il arrive dans ma vie, j'endors toujours le chat avant toute décision, il est prioritaire, c'est mon colocataire ; quand il m'a recueillie nous étions un peu dépressifs, puis à force de faire on s'est adoptés , nous jurant fidélité.

Le voici qui ronronne, apaisé, ses petites pelotes tricotées en chaussons roses sont trop propres pour avoir marché.

 

Le far-west c'est fini ; j'en veux garder l'intact souvenir, le phare reste mais à la Comtesse de Bécu, comment lui dire ?

 

Sur le tapis, je retrouvai le fil conducteur et sortis sur le balcon expliquer au pigeon qu'il était l'heure d'en prendre de la graine ; malgré toute ma tendresse pour la Comtesse de Bécu, j'écrivis un refus sur un papier pelure, joignant avec un ruban mon petit cœur rouge.

 

"Belphégor n'aime pas les îles grecques et entre nous, pas de salamalecs, as-tu vraiment existé ?"

 

Je sais bien que la Comtesse de Bécu est morte un trente et un décembre, en un an déglingué où j'avais tout perdu, sauf des souvenirs. 

 

Jamais je n'aurais pu la rencontrer à Montparnasse, mais quoi que je fasse, elle est toujours sur mes traces et je reçois ses plis régulièrement dans un nuage de poudre de riz.

Je ris. 

Le chat dort et j'oublie l'idée d'une île où chercher un trésor. 

 

Sur le balcon, des pigeons roucoulent, leurs gorges bleues et vertes s'enroulent, et sur leurs pattes rouges des messages vont et viennent ;  des pies ramènent des émeraudes, couleur des îles grecques,  Corfou on s'en fout, on n'ira pas.

 Ça nous suffit largement pour vivre heureux, Belphégor et moi !

 

 

(joailes - 7 janvier 2023  )