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La place vide


Thy Jeanin

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Il arrive que mon petit chemin de terre devienne chemin de ronde

alors, modeste, je ne pense plus, je veille

 

la main du vent secouait le monde furieux comme dés en paume

habitué à ne m’en soucier guère, je dérivais, tenant des deux mains les extrémités d’une écharpe arc en ciel

 

ainsi fagoté, il n’est pas rare que je lévite, porté par une rafale ascensionnelle

un peu plus haut, encore plus haut, je vois, là-bas, les premières montagnes

grises et redondantes éminences

 

mais c’est un massif de nuages, épais, déchiqueté, dense et bleuâtre que fait luire le phare d’or du soleil en train de se noyer dans le saphir profond

 

j’écarquille les yeux et tends l’oreille, sans intention précise, et je vois

une rangée de chaises blanches installée là, à flanc de cime nimbée

quatre, cinq, six, une septième, désordonnées, éparpillées, et j’entends

- mais oui, depuis le début de ma promenade, bien sûr ! c’est Anton qui m’accompagne, la ligne sinueuse d’une symphonie enchante mon temps

 

c’est lui, je le vois là-haut, il dirige l’orchestre, les fauteuils sont occupés, mais on ne voit que des silhouettes floues, transparentes

figures qui croisent les jambes, tiennent, méditatives, leur menton dans la main, je ne les reconnais pas, pourtant je les connais

mais il n’y a que ces six, la septième place est restée vide, à tout le moins, il me semble

 

le temps glisse de cuivres en violoncelles, le vent chante, le rideau de la nuit, je le sais, va tomber

pulsent les lumières une dernière fois, ô finale glorieux et extatique, la musique est plus forte que l’orage, que le vent, elle baigne le monde, baptise les cœurs

 

mais ne peut rien contre le néant

 

 à l’instant d’applaudir, la septième place a brillé d’une présence à peine décelable et j’ai l’impression fugace que son occupant m’a fait face, m’a fait signe

 

puis les chaises furent vides, se dissipèrent dans la brume

et tout se tut.

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