Partager Posté(e) 17 juin 2022 Ginette s'est habituée depuis longtemps à la solitude. Deux fois vingt ans et plus, quand on aime on ne compte pas, le temps est rude. Il coupe en deux, l'hiver, mais recolle tout en moins de deux, au printemps. Il a deux faces. Avant, elle était deux, mais son amour est parti à l'entredeux. Elle a organisé sa vie dans son petit deux pièces et ses quatre mètres carrés de jardin, deux pour les légumes, deux pour les fleurs. Elle n'a décidément pas à se plaindre, elle est encore assez vaillante pour aller faire deux courses, sortir ses deux chiens, aussi vieux qu'elle, deux fois par jour. Elle a deux arrosoirs, un pour deux, tous pour un ! A-t-elle eu deux amours ? Sans doute. Deux chemins, deux routes. Elle a toujours aimé les choses qui vont par paires, les amoureux, les cerises, les jamais deux sans toi et les chaussettes. Le vendredi soir, c'est sacré -s'il est brouillardeux, c'est encore mieux- elle aime le souvenir qui s'enfuit bien delà les collines bleues Elle se souvient d'une vieille amitié qui partageait son adrénaline des soirs où les époux avaient fugué cette bonne vieille Aline au visage sur le sable dessiné Elle s'arrête au club vidéo, deux rues plus loin et choisit un film à deux fins. Il est environ deux heures après le midi, elle fait deux siestes, prend deux douches et ferme à double tour sa porte à deux battants. Elle mange sur ses deux pouces deux croquemonsieurs avec deux feuilles de salade où deux escargots ont bavé deux fois en pleine escalade. Elle ferme ses deux volets et allume la télé. Le magnétoscope allumé, elle appuie sur deux touches, bascule son fauteuil et croise ses deux mains sur sa poitrine. Le film commence. Elle se frotte les deux yeux. Le décor ressemble à s'y méprendre à son salon, c'est quand même curieux. Et puis tout défile, depuis le jardin jusqu'aux truffes des chiens. On dirait une vidéo surveillance. Elle vérifie la jaquette de la cassette. Se serait-elle trompée de film ? Elle lit : « Les deux vies de Ginette » et en face d'elle, par la fenêtre, elle voit un homme dont le visage la terrifie. Elle joue un peu des castagnettes, mais sur la jaquette c'est bien marqué « pour public averti » et public averti en vaut deux, chacun le sait. Alors elle se sent moins seule. Visionna-t-elle la deuxième cassette, « La deuxième vie de Ginette » ? Nul ne put l'affirmer. Au matin deux du deuxième mois, on la retrouva coupée en deux, c'était en deux mille vingt-deux, je crois, et si je me souviens bien, c'était un vendredi. Il y avait quelque chose de maudit dans ce décor où tous les anciens deux priaient tous les dieux qu'on leur rende leur un pour faire deux âmes en peine. Ginette avait deux trous dans la cervelle mais elle était restée très belle. Elle aimait tant les films où les policiers allaient par deux, même si l'un mourait il y avait une suite, parfois deux ou ça n'en finissait pas comme si mourir n'était rien Elle savait bien qu'il y avait une deuxième cassette à regarder, alors elle s'en foutait que la première ait mal fini. Par précaution, elle prit ses deux robes préférées, son châle noir et s'enfonça dans son fauteuil. Par la fenêtre, elle vit passer deux écureuils ; l'automne revenait enfin quel plaisir de commencer par la fin ! Le magnétoscope s'éteignit. Ginette était repartie pour sa deuxième vie après deux mois de formation très vite elle comprit qu'il n'y avait qu'un seul bouton et le chiffre deux. (joailes – juin 2022) 3 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites Plus d'options de partage...
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