Moderne épopée

[Thy Jeanin]

                     Moderne épopée

 

Or, cahin-caha allait la Mère Michelle,

Traînant  linge sale, négligeant d’être belle,

Grognant et crachant son fiel contre sa poubelle

Pleine, rêvant richesse et paresse aux Seychelles.

 

Ca ! voilà-t-il pas que voilà Mère Denis,

Agrippée fièrement à sa brouette grise,

Charriant son linge itou et passablement grise,

Hirsute et hébétée, tel l’oiseau hors du nid.

 

« C’est moâ que v’là don’ ! » s’époumonait la Grosse.

(Terrible, ce surnom, par les gosses hilares,

Impitoyables, prompts à se tordre le lard,

Lui fut flanqué un jour, en guise de gag rosse.)

 

Mais alors –Dieu ! – du ciel épatant de dimanche

Descendit en trombe cette tornade blanche

Qui souleva du puant linge l’avalanche,

Nettoyant draps, slips, chemises jusques aux manches !

 

Eblouies, les deux femmes tombent à genoux

(Ces pauvres roides membres qu’ingrat l’âge noue).

Les bras en croix, elles crient ces mots sacrés :

« Skip ariel dash ajax woolmark sun cif omo !

Immaculée Marie, enfin, tu mis fin à nos maux!

Vois, quand le linge est fait, le bonheur que ça crée ! »

 

De ce jour, en l’église l’autel enlevé

Cède la place à une machine à laver

Que le village entier, car il n’est pas borné,

A délicatement d’un crucifix ornée ;

Et l’on va toujours propre pour chanter l’Ave.