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  • Une charogne


    Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
    Ce beau matin d’été si doux:
    Au détour d’un sentier une charogne infâme
    Sur un lit semé de cailloux,

     

    Le ventre en l’air, comme une femme lubrique,
    Brûlante et suant les poisons,
    Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
    Son ventre plein d’exhalaisons.

     

    Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
    Comme afin de la cuire à point,
    Et de rendre au centuple à la grande Nature
    Tout ce qu’ensemble elle avait joint;

     

    Et le ciel regardait la carcasse superbe
    Comme une fleur s’épanouir.
    La puanteur était si forte, que sur l’herbe
    Vous crûtes vous évanouir.

     

    Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
    D’où sortaient de noirs bataillons
    De larves, qui coulaient comme un épais liquide
    Le long de ces vivants haillons.

     

    Tout cela descendait, montait comme une vague
    Ou s’élançait en pétillant
    On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
    Vivait en se multipliant.

     

    Et ce monde rendait une étrange musique,
    Comme l’eau courante et le vent,
    Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
    Agite et tourne dans son van.

     

    Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
    Une ébauche lente à venir
    Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
    Seulement par le souvenir.

     

    Derrière les rochers une chienne inquiète
    Nous regardait d’un oeil fâché,
    Epiant le moment de reprendre au squelette
    Le morceau qu’elle avait lâché.

     

    – Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
    A cette horrible infection,
    Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
    Vous, mon ange et ma passion!

     

    Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,
    Apres les derniers sacrements,
    Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
    Moisir parmi les ossements.

     

    Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
    Qui vous mangera de baisers,
    Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
    De mes amours décomposés!


    Illustration: La Charogne, DE BOEVER Jan Frans, 1923



    Retour utilisateur

    Commentaires recommandés

    Ce poème est la vision d'une certaine forme de la beauté à travers toute l'horreur d'une charogne en décomposition. Comment passer de la beauté et de la grâce d'une femme bien vivante à l'image qu'elle pourrait devenir une fois morte!!!

    Le cynisme dans toute la splendeur de l'art.

    🤩

     

    • Solidaire 1

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    Héloïse Maubert

    Posté(e) (modifié)

    Celui-ci, je le connaissais pas cœur ! 😀

     

    La réunion de la beauté et de la laideur (l’opposition de la fleur et du mal, toute son œuvre quoi !) sous l’ironie cynique, @Patricia, c'est clair,  mais travestie en éloge romantique qui est en fait selon moi une mise en abime de la poésie. La charogne, oxymorique et hyperbolique est plus belle que bien des choses vivantes…

     

    Chef d’œuvre !

    ❤️

     

     

     

    Modifié par Héloïse Maubert
    • En accord 1

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    Il y a 20 heures, Héloïse Maubert a écrit :

    La charogne, oxymorique et hyperbolique est plus belle que bien des choses vivantes…

    et c'est toute la complexité de ce monde et ça Charles Baudelaire l'avait compris et c'est aussi pour ça qu'il ne se sentait pas à sa place dans ce monde. Poète maudit, exilé, interdit, censuré qui se réfugiait dans les excès de tout et qui a fini par en mourir.

    Merci Héloïse @Héloïse Maubert pour cet échange qui fait du bien.

    🤩

    • Solidaire 1

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