~ Les commentaires sur les sujets sont uniquement visibles des membres de notre communauté ~
Rechercher dans
  • Plus d’options…
Rechercher les résultats qui contiennent…
Rechercher les résultats dans…

Doit contenir au moins 3 caractères.

Aller au contenu

Magie des Îles d'Aran


Morvan

Messages recommandés

 

Îles d’ARAN

Irlande, 1988

 

Il y a toujours un premier voyage, une première rencontre, une première humée de l’air marin au bout de la jetée. La vie est d’autant plus belle que nous multiplions ces premières fois et surtout lorsque nous savons profiter de cet instant magique, et si éphémère de la découverte, à tel point que je me suis demandé si cet appétit de savoir et cette quête de l’altérité n’était pas devenu chez moi une forme d’addiction.

 

"Cigarets ! Cigarets ! Cigarets !" les adolescents vendeurs à la criée de cigarettes furent mon premier contact avec l’Irlande il y a longtemps déjà, d’autres tentaient de vendre des journaux aux quatre coins de la ville de Dublin, et donnaient de cette ville un air totalement anachronique.

 

Dublin, une capitale ? Ce premier contact m’en donnait un tout autre avis, il me semblait faire partie d’un film dans les années 20, et à tout moment je m’attendais à voir un véhicule chargé de "Black and tans" à la poursuite de Mickael COLLINS et des indépendantistes.

 

Dublin, une ville au charme fou en 1988, désuète mais tellement attirante avec ces rues dédiées à la vente de jouets, aux drugstore, etc.. Je n’ai jamais vu cela ailleurs, tout ceci dans un grand tohu-bohu très affairé. Dublin, une très belle surprise alors que je ne me l’imaginais que comme une étape insipide avant d’atteindre le Graal : cap à l’ouest pour le Connemara. Mais Dublin c’est d’abord avec mon premier contact avec des habitants, chaleureux et optimistes.

 

Pour ce premier contact avec l’Irlande c’était l’aventure que nous avions choisi : un sac à dos, notre pouce pour faire du stop, et un pass transports en commun, aucune réservation de logement, nulle part , le plaisir de se poser là ou ailleurs peu importe, l’essentiel étant de goûter l’instant présent.

 

Dès le premier soir les choses se compliquèrent et nous passâmes une nuit blanche d’abord dans un pub, puis sur un banc, et nous échouâmes le lendemain au Trinity College  où nous pûmes enfin nous reposer grâce à l’accueil mémorable du gardien du musée, mais il tint avant nous à nous faire partager son amour pour sa patrie et son admiration pour ce magnifique ouvrage qu’est le livre de Kells, le plus ancien manuscrit d’Europe ; les irlandais sont formidables et surprenants.

 

Cap sur le Connemara disais-je, et le soir même nous arrivions à Galway, porte sur l’Océan atlantique et au loin sur cette Amérique qui a été l’espoir ultime de tant de migrants contraints de quitter leur terre lors de la grande famine du 19ème siècle. Nous avions raison d’être optimistes car nous trouvâmes sans difficulté à nous loger ce soir-là dans un gite où la chaleur de l’accueil nous fit oublier la rigueur de l’hébergement, et le soir même nous sortions avec toute la famille de notre hôte, du petit fils à la grand-mère, pour une soirée au pub loin des bourrasques et de la pluie, saoulé tout autant par la bonne humeur et le brouhaha généralisée que par les Murphy's servies sans aucune limitation. 

 

Et c’est bien mort de fatigue le lendemain que nous allions prendre le bateau pour les Îles d’Aran, dernier morceau de rocher avant terre neuve, destination finale des irlandais chassés par les anglais  des meilleures terres de l’Irlande et qui durent survivre sur ces îles où il fallut créer ex nihilo la terre arable entre les rochers avec les algues pour simplement survivre.

 

C’est sur ce bout de terre abandonné de Dieu, à mi-chemin entre le purgatoire et l’enfer, que je fis une des plus belles rencontres de ma vie.

« Trespassers will be procecuted » , ce sont les quelques mots qui nous enjoignaient de ne pas dépasser les limites d’un pré. Mais dans ce pays sauvage que valent les interdictions ? et n’a-t-on pas chacun l’envie de dépasser les interdits ? En tous cas nous n’en fîmes qu’à notre tête et dépassant la sinistre pancarte nous progressâmes le long d’une falaise surplombant la mer, bousculés par les bourrasques et les averses.

 

Et comme souvent en Irlande les morceaux de ciels bleus, les nuages noirs, les nuées blanches, les rayons de soleil  se mélangeaient dans un gigantesque patchwork d’une beauté à couper le souffle.

 

Jusqu’à ce que des pièces de ciel bleu déchirent la voûte céleste, jusqu’à ce que le vent commence à nettoyer le ciel, jusqu’à ce qu’un arc en ciel nous enchante au-dessus de l’océan puis simultanément un deuxième, un troisième et un quatrième ; la féerie se poursuivit et se furent soudainement sept arc en ciels éparpillés dans le ciel, comme si un peintre à la fois dieu et poète avait décidé de nous enchanter et de nous récompenser de notre respect pour la nature et de notre amour de l’univers.

 

La mer se mit alors à redoubler de colère et de violence, les lames se succédant aux lames contre la falaise comme pour signifier la fin de ce spectacle inoubliable, et soudain un coup de vent effroyable s’abattit sur nous projetant ma femme dans les airs au-dessus de la falaise et ce n’est que par miracle que je pus la retenir alors qu’elle volait déjà et était précipitée vers la mer, comme affamée de s’emparer encore une fois d’une vie humaine.

 

« trespassers will be prosecuted » , peut-être La Providence ou Dieu a-t-il voulu nous prévenir et c’est le Diable qui nous tenté de nous rapprocher de la falaise pour voir ce scintillant spectacle, si beau et exceptionnel que s’en était un péché.

 

La nature si séduisante, et parfois si impitoyable avec ces humains qui croient pouvoir tout maîtriser, nous remet parfois à notre véritable place : de simples passants dans la ronde éternelle du temps.

 

Mais mère nature, conciliante, sut se montrer généreuse avec nous, ce ne fut pas un lutin qui apparut pour nous guider. Il apparut à la croisée de deux chemins derrière un mur de pierre sèche : il s’assit devant nous, nous coupant la route et nous regarda droit dans les yeux, bienveillant, comme le fait une mère avec ses enfants, il sembla dire « suivez-moi » et pris le chemin de droite, trottinant devant nous.

 

C’était un de ces magnifiques chiens de berger, ni trop gros ni trop petit, âme paternelle des troupeaux de moutons dans la lande. A chaque intersection il se retournait comme pour nous dire « ne vous trompez pas », je suis votre guide et votre bon génie.

 

Il disparut soudain et nous crûmes que notre sauveur nous avait abandonné. Orphelin nous poursuivîmes notre route sous la pluie et dépités ; mais il réapparut soudain, un lapin dans entre ses crocs, il vint le déposer à mes pieds comme s’il avait compris qu’après de telles émotions notre estomac criait famine.

Je compris alors qu’un « ange » veillait sur nous et que ce chien en était l’incarnation, longtemps après un voyant me dit qu’une âme flottait toujours au-dessus de moi, bienveillante, et dotée d’un amour infini. Pourquoi ? je ne suis ni meilleur ni moins bon que nombre des êtres humains et je ne peux que remercier le ciel d’être à mes côtés quand je suis dans la difficulté. A chaque fois que le destin semble avoir posé devant moi des obstacles apparemment insurmontables, la providence me donne son aide si j’en ai besoin, cela s’est confirmé tout au long de ma vie.

 

Mais revenons à notre bon génie, nous le suivîmes jusqu’à un antique fort de l’âge de fer le long de la falaise, un site sauvage et cependant fréquenté par quelques touristes, nous demandâmes à l’un d’entre eux de prendre une photo assis sur le bord de la falaise face à la mer ; au dernier moment notre bon génie se précipita sur nous et vint s’installer entre nous deux, regarda l’un, puis l’autre, content de  lui, puis le photographe, qui prit quelques photos.

 

La pause étant terminée, notre chien me regarda, me renifla  et soudain je sentis son haleine et sa langue sur mon visage, un geste d’amour, j’en ai encore les larmes aux yeux quand j’y pense.

 

Mon magnifique border-colie, je n’ai jamais su ton nom, mais tu restes dans mon cœur comme une des plus belles rencontres de ma vie.

Combien de fois ai-je voulu retourner aux îles d’Aran pour te retrouver ? J’aurai exploré le moindre champ, regardé derrière le moindre mur de pierre sèche, sûr qu’un rais de lumière m’indiquerait enfin l’endroit où tu te serais malicieusement caché pour jouer encore et toujours.

Un génie, cela ne meurt pas, et je te retrouverai probablement à mes côtés lors du grand voyage pour me guider dans le dédale de l’éternité.

« trespassers will be prosecuted », Comme j’ai eu raison de braver l’interdit et de graver dans mon cœur la beauté de cette journée, à peine un instant dans ma vie, du bonheur jusqu’au grand départ…

  • Merci 1
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

×
×
  • Créer...