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Sans rancune, Madame


Joailes

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Un jour je mourirai Madame et point ne vous en soucierez. Vous m'auriez oubliée.

Madame fut très fâchée de mes fautes de conjugaison, que pourtant j'avais fait volontairement, histoire de me faire remarquer. Madame me tapait sur les doigts à chaque faute mais ne m'embrassait jamais, en contrepartie, pour ce que j'écrivais.

J'ai donc pensé que j'étais nulle et j'ai arrêté de lui montrer mes poèmes ; elle me guettait ; je ne faiblissais pas, au fond de la classe je somnolais à présent à côté du radiateur en fonte et j'apprenais mes conjugaisons.

Je lui écrirai un dernier poème en tirant la langue pour mieux m'appliquer un jour je mourirai Madame et point ne vous en soucierez ni maintenant ni jamais mais je me souviens des coups de règle et de vos regards noirs j'apprends que vous avez de l'arthrose et que vos doigts vous font souffrir, vous êtes presque aveugle, voulez-vous que je vienne vous voir ? Je pourrai vous lire des milliers de poèmes et vous offrir des baisers, vous ne m'avez pas découragée rassurez-vous.

Je vous promène dans le parc sur votre fauteuil à grandes roues et vous souriez, Madame, en écoutant mes vers qui vous déroutent.

Vous m'avez dit que même avec des fautes je saurai toujours dire je t'aime et même si vous fuyez mon regard, je vous emmène vers les bosquets odorants qui vous reposent sans règle vous quittez votre uniforme ; soudain, sous les pluies de glycine, vous m'avez embrassée. 

(J.E. Février 2020)

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