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Nu


hersen

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De tous les maux je fabriquais le grain de mon papier de vers.

 

Je raclais, je griffais. J'allais arracher la peau parcheminée des horreurs et je me roulais dans sa puanteur. Ma fureur toujours trop faible, je couchais en lettres les abominations du monde, de la bombe à mon amour perdu. Réactivation permanente de mes rancœurs et de mes faiblesses, j'avais le don des mots. La noirceur aveuglante éclairait mes pages et mes pages et mes pages. J'imitais le cri du poète maudit témoin de forfaitures. Oh, oui, j'écrivais la face cachée d'un astre dégoûtant, d'une planète trop rompue à toutes les bassesses. Je dénonçais en vers. En forgeant mes mots, en les ciselant méchamment, j'explosais la gangue de caillou noir couvrant pudiquement, mais fermement, la vérité.

 

Je m'engluais dans les traces que je laissais, de la bave et du foutre et du sang. J'étais un poète noir.

 

Et je m'en délectais.

 

Je croyais n'avoir rien oublié, avoir tiré du puits tous les mauvais secrets. Mais ce sang et ces humeurs fétides ont fini par s'éloigner, s'évaporer pour voyager ailleurs, me laissant exsangue sur les carreaux de mes pages. Me laissant dans la bouche un goût de non-dit.

 

Aigri, ruminant une énergie tarie pour un combat trop ambitieux, j'ai embrassé ce qui me restait, mon orgueil et mes mots. Je me suis terré et j'ai écrit les mots plaid, chaussons, tisane arrangée. Que l'on toquât à ma fenêtre et je tirai le rideau. J'écrivais, j'écrivais comme le monde serait beau si... Des pages et des pages de jolis mots, des amours magnifiques et des bombes fleuries qui tombaient d'un ciel toujours bleu. J'écrivais comme Elle m'avait aimé, je réinventais la mer et la montagne. Je me souvenais comme j'avais été beau. Du mince et pitoyable ruisseau de ma vie, mon encre alimentait un fleuve, grondant et fougueux, moi qui fus assez fou pour me croire rebelle, quand je n'étais que malsain. Je n'avais plus rien à extirper, ma plume paresseuse ornait un chemin solitaire. Bien écrit, mais creux.

 

Comme un vieil océan gris sans cesse ressasse.

 

Qu'est-ce donc qui m'a fait lever le nez de mes pages, renverser mon encrier ? Un vent chantant, moi qui ne faisais que rabâcher, un vent chantant souffla ma couverture et mes pantoufles, attiédissant ma tisane chargée.

 

Un champ. Rien qu'un champ. Avec des lézards et des coquelicots, avec la douceur de l'herbe et le sable. Debout au milieu, je chantonne à ce que je n'avais jamais vu, je chantonne à la vie. Et je me roule dans l'herbe fraîche au pied des montagnes bleutées, je me baigne avec Elle dans un lac aux eaux glauques où les canards viennent me manger dans la main. Je reste ainsi, contemplatif, bienheureux du monde et de ses mystères, bienheureux d'ignorer.

 

Tout à ma sérénité, je m'applique à écouter battre mon cœur au rythme de l'univers, je l'écoute et je l'apaise, je lui répète, du calme, du calme, mon gros, j'ai pacifié notre vie. Il se repose à ces paroles douces, et je m'étends sur le sable auprès d'Elle. Je mesure le silence et ce qu'il me confie, j'écoute respirer les pierres et les arbres. Elle m'implore, aime-moi sur le grain soyeux du sable. J'en suis tout amolli.

 

Mais qu'est-ce donc ? Je sens mon cœur devenir plus petit et plus petit encore, il se serre tandis que j'entends un grondement au loin. Je la regarde, Elle, je ne veux voir qu'Elle, mais ce grondement au loin qui gonfle, tonitrue et ce battement ténu de mon pauvre cœur que je n'entends plus qui, tout comme ma plume, ne peut rien contre la fureur du monde.

 

Je suis un poète nu.

 

 

 

 

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