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Ankoù


Rousselot

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Ankoù.


Des nuages parcourent le ciel au galop.
Une pleine lune rousse peine à éclairer le manoir.
Dans le parc, le grand chêne décharné semble plus sombre qu’à son habitude.
Plusieurs corbeaux aux yeux blancs se posent sur une de ses branches.

Le vieux comte fume sa pipe blanche, se tient assis dans un fauteuil rapiécé, face à la cheminée dans laquelle une bûche de bois humide crépite.

A la droite, trône un grand lit dans lequel agonise sa femme.
La pièce est faiblement éclairée par le foyer et plusieurs bougies disposées sur une table et des bahuts.
Le recteur se trouve auprès d’elle, lui administrant l’extrême-onction.

Appelé par les bonnes, il s’est précipité dans la nuit en char à bancs, au chevet de la moribonde accompagné d’un paysan.
Il faut dire qu’en ces temps, les chemins sont peu sûrs.

Le corps de la comtesse est parsemé de plaies purulentes dont l’odeur nauséabonde envahit le lieu.
La pauvre femme est secouée par de violents spasmes.
Ses mains squelettiques s’accrochent fortement aux draps souillés.

Face à elle, assises sur un lourd banc de bois fatigués, trois bonnes, silencieuses, parcourent rapidement de leurs mains des chapelets, se signant furtivement de temps en temps.

Le paysan qui accompagne le recteur, un gaillard bien charpenté aux cheveux longs, est lui, debout, immobile, tenant son chapeau à la main.

La comtesse se meurt !
Peu avant minuit, en ce 31 décembre, la comtesse, emportée par la peste, en un puissant vomi sanglant, a rendu son dernier souffle.
Soudain, comme saisies dans un vent glacial toutes les bougies s’éteignent simultanément.

Madame se meurt ! Madame est morte !
Dernière morte, Ankoù pour l’année, telle sera sa destinée ! Et les corbeaux s’envolent !
Au loin, Dans le bois du Toull-bleiz, on entend un loup hurler.

Au petit matin, ce jour de nouvel an a du mal à s’arracher à la nuit.

De fins lambeaux de brouillard parcourent l’enclos de granite usé par le lichen vert et gris.
En ce sinistre lieu qui tient, ce matin, de marché, la nouvelle a vite fait le tour des étals.

Près du grand porche et près de l’ossuaire, des groupes de femmes et d’hommes, les sabots plantés dans la boue froide, tiennent conciliabules.
Sous les lourds chapeaux et les coiffes blanches, les visages sont crispés.

Un bedeau famélique et bossu sonne le glas.

«Ma Doué ! Paouvres nous! Paouvres pêcheurs »
Se disent les manants inquiets.

«Ce fut une bien mauvaise femme, la comtesse, de son vivant ! »
« Pour sûr ! C’est le malin qui aura emporté la maudite ! »
« Diable ! C’est une pestiférée qui montera la "Karrigell an Ankoù" !»
« Le village est maudit ! »

Il faudra bruler le corps de la sorcière, car en ce début d’année 1639 la peste frappe le Finistère.


ROUSSELOT

 

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