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La craie.


Rousselot

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La craie.

Je ne sais par quel mystérieux cauchemar d’un soir,
je me suis trouvé téléporté, là, dans ce long couloir du premier étage de l’établissement scolaire primaire, où je fus, un temps, jadis, poursuivis par mes études.

Sur le sol, une fine couche de neige recouvre le carrelage.
Le toit présente de grandes ouvertures, en cicatrices, par lesquelles on peut voir galoper dans le ciel des nuages gris et noirs.
De la dalle ressort des tiges d’acier tordues, vers l’intérieur, de douleurs.

Les patères, alignées en soldats rouillés sont à leur place.

J’avance et machinalement, pousse la porte d’entrée de mon ancienne classe.
Elle résiste un peu, grince sur ses gonds.
J’entre dans la pièce.

Là, je suis saisi par un vent glacial qui s’engouffre par les baies aux vitrages éclatés.
Surpris de ma visite, un corbeau aux yeux rouges, s'enfuit par une fenêtre.
Un rideau, en lambeaux, fait d’un lourd tissu, danse, poussé par les bourrasques.
Sur le mur lézardé du fond, une grande carte géographique se balance sur un clou tel un métronome bien huilé.
Furtivement, un frais et fin rayon de soleil éclaire des dessins d’enfants jaunis par l’oubli.

Les tables et les chaises sont en pagaille, sens dessus dessous. Un véritable capharnaüm.
La neige en congère s’est déposée sur les premiers rangs.

Le sol est totalement jonché de gravois de béton, d’éclats de bois, de verre.
Une équerre et un rapporteur jaunes agonisent dans une mare d’encre bleu pétrole.
À leurs côtés, gît un encrier de porcelaine brisé.

Sur l’estrade, le bureau de la maîtresse a conservé sa dignité sur son magistral piédestal.
Derrière, la chaise est renversée.
Je monte sur l’estrade, replace la chaise.

Au centre du bureau est posé un petit bout de craie.
Je le saisis, le fait rouler entre mes doigts.
J’étends mon bras pour mieux le considérer.
Doucement, il me chauffe la main en petite flamme de liberté.
C’est magique, ce petit rien de calcaire.
Grâce à lui, on écrit l’éphémère.

Alors, je me retourne face au tableau noir, disons plutôt vert foncé.
D’un revers de manche, j’enlève le givre qui s’y était déposé.
Je me mets à écrire la date du jour que je n’oublie pas de souligner.
Puis, je dessine le « P » en majuscule de Poésie, avec délicatesse.

Dessous, j’y pose quelques vers.
Je prends soin d’appliquer, là, une belle virgule.
Plus loin, c’est un accent qui s’envole vers le ciel, puis chute, léger comme une plume, en circonflexe.
Une respiration s’impose en note blanche sur la partition du musicien qui compose.

Derrière moi, il me semble alors entendre, des voix, des rires et des railleries.
Je me retourne, et je les vois.
Ils sont tous là, figés en statues pétrifiées sur ce papier glacé d’une photographie de classe, délavée par les années.
Pourtant elle était bien protégée, au fin fond d’une armoire, dans sa chemise de papier crêpé.
J’arrive toutefois à reconnaitre quelques visages que ma mémoire, en feuille de soie, n’a pas flouté.

C’est alors, sur la pointe des pieds, que je décide de m’effacer, laissant, ainsi, derrière moi, les fantômes s’amuser.
Le couloir est envahi par l’obscurité.
Au loin, au fond des cercueils, les bougies s’éteignent l’une après l’autre.
Je vais pouvoir, enfin, m’endormir.

ROUSSELOT

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