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Feu de forêt


Julien Ertveld

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Feu de forêt

 

 

 

 

 

La rivière, en contrebas, s’écoulait paisiblement. La chaleur, la sécheresse printanière avaient transformé le presque torrent de l'hiver où les adeptes du rafting se donnent rendez-vous, en un ru où l'eau se frayait avec peine un chemin entre les galets. La cascade furieuse n’était plus qu’un « goutte à goutte » dérisoire, à peine capable d’assurer son rôle de douche naturelle auprès des campeurs sauvages, adeptes du naturisme et de la baignade dans l’eau claire et fraîche de la vasque naturelle, installés non loin malgré les interdictions. Eux étaient arrivés discrètement. Ils avaient arrêté la voiture sous un pin, légèrement en retrait du chemin.

L’endroit était propice aux rencontres furtives. Un buisson assurait entre deux rochers la protection visuelle, un lit de mousse servait de matelas, un bras de la rivière paressait au pied de quelques rochers et favorisait les ablutions intimes. Les capotes abandonnées témoignaient d’une fréquentation assidue des lieux. Habituellement, elle y venait avec ses clients d’une heure. Elle garait le camping-car à l’ombre d’un pin parasol, pour ne pas être vus depuis la route. Ici, personne ne les dérangeait, pas même un chasseur ou cueilleur de champignon.

L’environnement ne se prêtait guère à ce genre d’activité car, hormis les épineux, rien ou presque ne poussait. Même les randonneurs ne s’aventuraient que très rarement par là, préférant longer la rivière, moins escarpée.

Son client était un de ces types que le jeu de la séduction ennuie et préfèrent des relations tarifées aux rencontres de hasard. Un homme de passage, genre commercial éloigné de ses bases, casant une escapade sensuelle entre deux rendez-vous. Ils étaient arrivés dans la voiture du gars. Il avait laissé la capote baissée et les portières ouvertes pour entendre la sonnerie de son portable dont il avait réglé le minuteur afin de ne pas oublier un rendez-vous. Il avait étalé un plaid sur la mousse sèche. Il s’était méfié de ne pas recouvrir un aspic lové, prudence venue d’une mésaventure précédente. Le serpent s’était contenté de rentrer dans son trou, mais il avait, ce jour-là, décidé de déjeuner dans sa voiture.

Elle lui avait donné le choix entre une secousse dans son camping-car aménagé, ou un moment de détente en plein air dans un endroit très discret. Il avait préféré le plein air. Ils avaient pris le temps de parler, de longs préliminaires, avant d’accomplir l’acte lui-même. Lentement. Se donnant le temps du plaisir. Elle appréciait ces clients qui ne se contentaient pas d’un rapport expéditif. Ce n’était pas une de ces « amazones » adeptes de l’abattage, mais une professionnelle qui tâchait de choisir ses clients. Il est vrai qu’elle avait toujours réussit à ne pas dépendre d’un souteneur.

Elle avait débuté dans la prostitution par besoin d’argent, à l’université. Puis elle avait continué par une certaine facilité et pour ces rencontres pas toujours si anodine, ni perverses que l’on pense et qui peuvent parfois se révéler attachantes sur plan relationnel et humain. Son esprit d’indépendance lui avait déjà valut quelques ecchymoses et des menaces violentes, aussi bien des macs que des filles, mais elle avait tenu bon, changeant le point de rencontre qu’elle avait alors près de la sortie de la ville, pour celui-ci. Plus retiré, mais plus sûr, car sur une route touristique, éloignée de la cohue estivale et des lieux plus habituellement fréquentés par les gens du cru.

 

Elle ne souhaitait pas être retrouvée par les anciens “amis” de la petite frappe dont elle avait partagé la vie quelques mois. Beau mec, beau parleur, mais pas de jugeote pour deux ronds. Il avait voulu jouer au mac, mais elle avait refusé de se laisser mettre en coupe réglée par ce demi-sel. Elle partageait sa vie, pas les gains de son commerce. Les choses ont rapidement mal tourné pour lui lorsqu’il a commencé à toucher à la drogue. Jusque-là il se contentait de petits trafics, de magouilles, d’arnaques, mais ne donnait pas dans la blanche. Joueur, il se trouva obligé d’honorer une dette de jeu. Il n’avait que deux choix, une balle dans la tête ou accepter de convoyer les sacs planqués dans le double fond de son coffre de voiture, il choisit la seconde solution. Excellent pilote, ayant participé à des rallyes amateurs, on le chargea des transports en « Go-Fast ». Un job pour une fois à la mesure de ses compétences puisquil suffisait de savoir rouler vite et prendre la sortie dérobée préparée par les complices avant celle de lautoroute. Mais il continua de jouer, jusqu’au jour où, ayant mis en jeu la drogue qu’il était chargé d’écouler, il perdit son stock et se retrouva transformé en “barbecue”, sur une plage isolée.

Pour elle commença une période de fuite, de planques, de racolage sur des routes discrètes, mais encore trop proches de la ville apparemment. Elle avait pourtant affirmé à la police qu’elle ne savait qui étaient les auteurs, elle fut jugée trop dangereuse par le gang qui fit plusieurs tentatives pour l’éliminer. Mais elle avait de la chance et leur échappa en se réfugiant dans le camping-car qui devint son domicile principal. Discret et facile à déplacer. Un jour, un flic s’arrêta, prétextant un contrôle. Elle sut tout de suite qu’elle devait encore changer d’endroit. En effet il échangea la fille contre des renseignements sur le réseau, auprès d’un indic. Les types furieux d’avoir été « menés en bateau », firent la peau aux deux hommes que l’on retrouva noyés au large. Quant à elle, son besoin de sécurité la conduisit dans l’arrière-pays, sur la route des villages perchés, difficiles d’accès et loin de la trop grande ville.

 

Elle le trouvait « pas mal », ce type, avec sa calvitie naissante, son corps légèrement enveloppé par les sandwichs et les restaurants, son accent du nord et ses mains pataudes. Elle se dit qu’elle ne brusquerait pas les choses non plus. Et que s’il voulait, elle accepterait de prolonger la rencontre, sans supplément. Elle avait ressenti un plaisir non simulé dans la relation, puis ils s’étaient assoupis dans le crissement des cigales. Ils avaient pris le temps d’un bain, nus, dans la rivière. Ils s’étaient séchés mutuellement et donné à nouveau du plaisir comme des amants réguliers.

L’après-midi touchait à sa fin et l’heure du rendez-vous professionnel approchait. Juste le temps d’un dernier élan sensuel sur le plaid, doux, chaud, profond. Il reviendrait la voir, il restait encore une semaine ou deux en prospection dans la région. Elle était d’accord pour une relation hors boulot, mais sans engagement.

« Tu serais accusé de proxénétisme si nous nous affichions trop ensemble. De toutes façons tu repartiras et moi je resterai ici ».

 

Ils étaient encore étendus, enlacés, engourdis par la chaleur et le plaisir. Un grondement, l’odeur de bois brûlé. Une fumée âcre. L’incendie s’était déclaré non loin de là. il se déplaçait rapidement les flammes se propageant de buisson en buisson, d’arbre en arbre, de branche en branche. Des animaux fuyaient à travers bois, certains déjà embrasés propageaient le feu en essayant de le fuir.

Il se leva d’un bond, enfila rapidement slip, pantalon et chemise et courut vers la voiture à une centaine de mètres, en la pressant de le rejoindre. Déjà les flammes encerclaient la petite clairière. Elle voulut le suivre, ses vêtements sur le bras, n’ayant eu que le temps d’enfiler son string et une manche de son corsage qu’elle ne prit pas ensuite la peine de fermer. Un lapin en feu lui passa entre les jambes, elle trébucha et tomba sur les bruyères desséchées.

Les grands pins se transformaient en torchères, leur bois projetant des braises alentours en éclatant et chaque braise devenait un nouveau foyer en tombant sur une végétation en manque de pluie depuis plusieurs semaines déjà. Elle reçut une flammèche sur un sein pas encore protégé. Une branche suivit, la plaquant au sol par son poids. Il revint vers elle, essaya de la retirer hors des flammes. Une seconde branche s’abattit sur eux.

Il réussit à s’extraire d’en dessous, mais ne parvint pas à la soulever pour la dégager sa compagne. Inconsciente, elle ne pouvait l'aider dans ses efforts. Il courut à sa voiture pour tâcher d’appeler les secours. Une branche incandescente était tombée sur le siège du conducteur qui s’était enflammé. La voiture était déjà un brasier qui explosa soudain. Il sentit le souffle, la chaleur lui brûler les poumons, puis plus rien.

Il avait fallu trois jours aux dizaines de pompiers et volontaires, aidés de « Canadairs » pour éteindre l’incendie. Aucune maison n’avait eu à subir de graves dégâts, mais les hectares de forêt détruits mettraient plusieurs années avant de commencer à se reconstituer. C’est en cherchant l’origine du sinistre qu’ils ont trouvé les corps. Le départ, une escarbille échappée du train à vapeur touristique dont la voie surplombait ce coin de garrigue et que le vent avait porté au milieu des aiguilles et des pommes de pin. Sa brève incandescence s’était propagée aux herbes sèches. Une étincelle de feu, comme née du besoin d’un moment de tendresse.

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