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Histoire amorale


Joailes

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J'aimais, en des temps anciens, me blottir au fond de la petite église, dans la chaleur d'un saint ou sous les seins généreux d'une sainte ; je me sentais moins seule.

Une fois mes yeux habitués à la pénombre, je notais sur mon petit carnet noir le nom des adeptes du confessionnal à l'entrée des artistes.

Je les prenais pour de grands acteurs et je me disais qu'un jour je leur demanderai un autographe, j'arriverai peut-être à me faufiler dans les coulisses et devenir célèbre à mon tour par la force de mon écriture.

Ils se cachaient derrière des rideaux rouges ; au début, je croyais que c'était un tout petit théâtre et que dès qu'on avait franchi le rideau, on se mettait à genoux et on devenait tout petit, comme par magie.

Comme chez Gulliver.

Je n'entendais jamais les trois coups, les applaudissements, ni les rires, ni ce bruissement de rideaux complices, alors j'ai fini par demander, à la cantine, ou peut-être à la cantonade, en tous cas au réfectoire : « le petit théâtre, au fond de la petite église … c'est quand la prochaine représentation ?»

Ma voisine de set m'expliqua, en avalant un énième petit pois et un gros morceau de poisson pané du vendredi, que ce n'était que le théâtre de confidences très secrètes et qu'il valait mieux ne pas en parler.

Les autres convives regardaient une mouche voler en sifflotant.

Je lui offris mon dessert et partis en courant.

J'avais peur.

Tous ces noms sur mon carnet, notés depuis des années … les caricatures … il me fallait les détruire, je ne voulais pas travailler pour les agents secrets.

Je choisis, ce soir là, au fond de la petite église, la sainte Jeanne. Elle m'éclaira avec sa torche, j'entendais bien sa voix ; sur le bûcher, j'ai laissé choir mon carnet noir.

Le petit théâtre a brûlé.

Au moment de l'inventaire, tout le monde à genoux priait, c'était joli comme un champ de coquelicots en plein été.

C'est à ce moment-là que j'ai agité mon carnet sous leur nez, en criant « du balai ! »

Ils ont eu peur.

Je crois qu'ils m'ont pris pour une sorcière, c'est bien ce que m'avait expliqué Jeanne.

 

Avec l'argent qu'ils m'ont donné pour me taire, j'ai acheté une forêt et fait bâtir une jolie petite église sans confessionnal.

Le nom des coupables était dans un coffret ignifugé, impossible d'accès, au fond de l'urne inaccessible de la troisième dune à droite en partant de l'oasis où se désaltéra, en des temps anciens, le célèbre Ramsès.

On m'avait oubliée, tant mieux et puis j'avais mes anges gardiens.

 

Il n'y a, bien entendu, aucune morale à cette histoire.

Je ne sais pas s'il faut utiliser un papier indestructible et une encre indélébile car je vous le dis, en vérité, nul n'est à l'abri de quelque catastrophe ; en même temps, voyez le paradoxe : un simple papyrus suffit parfois, pour prendre des notes, il défie le temps et même les éléments.

C'est quand j'ai compris ça que j'ai commencé à écrire mes mémoires sur l'écorce des arbres. C'est très long, rien à voir avec un clavier et je viens de commencer.

Je n'en aurai jamais assez, alors au fur et à mesure, je plante un arbre derrière moi.

Pour les écritures suivantes.

Et je vais, d'écorce en écorce …

Je n'avais pas prévu qu'ils en arriveraient là, la forêt brûle, je n'ai plus aucun espoir.

Il ne restera donc aucune trace ... 

(J.E. petites histoires ordinaires – septembre 2019)

 

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