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La vieille fontaine


Frédéric Cogno

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Elle confond pleurer avec éclat de rire,

Son bouquet de bulles ne fait que s'applaudir,

C'est une favorite au long cou mordoré

Qui déverse ses rimes en chantant en galet.

Avec son franc-parler et son accent lavande,

Son fer aventurier, son sel de contrebande,

Voyelles en vivier ou grand bassin de stances,

Elle a su raviver les fraîcheurs de l'enfance.

 

C'est la tige sans fin d'une fleur minérale,

Purs joyaux de remous s'accrochant aux pétales

D'eau claire et limpide pour ses noces joyeuses,

Les Alpes vont sourdre sur la place pieuse.

Ça sent bon le terreau et la cruche en bas âge,

L'estivage garni, le berger de passage;

Prédicatrice aimée sous un cadran solaire,

Quand les tuiles s'ennuient et les murs sont calcaires,

Quand le soleil se prend pour l'unique jeton

Des marelles d'été sur la dalle en béton,

Gargouillant son passé elle revient aux sources

Des légendes jetées dans les flots de sa bourse.

 

A l'écouter parfois, nous croyons voir encore

Jaillir des vœux anciens, briller des pièces d'or,

Du temps des sacres fous, des jachères magiques,

Quand la fée des forêts, les méridiens bachiques,

Acclamaient les sylvains dansant la tarentelle,

Sur un air de pipeau avec les tourterelles

Qui poinçonnaient du bec sa carafe d'argent

Remplie de collerettes et d'émaux frétillants.

 

Elle a gardé au frais sous son manteau de lierre,

Le sourire aux bras nus des douces lavandières,

Les dictons d'autrefois, les vignes de l'amour,

Les mœurs des baladins, les chansons des labours.

Combien de cœurs épris, combien de lèvres sèches,

Se sont désaltérés en son haleine fraîche

Dont le parfum s'égaie de les avoir connus,

Leurs baisers retroussés et leurs épaules nues,

Leurs seins téméraires penchés comme Narcisse,

Leurs cheveux dénoués tombant dans son calice,

Au point qu'elle semble quand nos gorges s'enrouent

Étancher notre soif d'un galant rendez-vous?...

 

Mais lorsque tout à coup, elle tousse et barbote,

Alors qu'un frisson noir dans les ruelles mortes

Se faufile et gémit, quand les ombres s'abreuvent

Au seuil de ses pavés, elle devient la veuve

Du village endormi, la pleureuse aux étoiles...

 

Sinistre conteuse bien cachée sous son voile,

Si son cénacle tremble à bouillonner des psaumes,

Quand la nuit s'entrouvre comme l'outre de Rome

Après que la lune dans le fond du lavoir

Se glissât troublement comme un savon du soir,

Sur sa robe de tuf, un vieil hameau de mousse

Récite l'histoire des oubliettes rousses,

Des croisés sans retour, des invasions barbares,

En remuant le sang qui restait dans son marc

Comme un dépôt de plaies, comme un caillot d'argile.

 

Elle a vu séjourner les puanteurs hostiles,

La peste s'inviter aux famines obscures

Tandis que résonnait un vacarme d'armures.

Plus bas, dans le vallon, chaque épée, chaque glaive,

S'accouplaient en horreur, se disputaient le rêve,

D'une bible aux yeux clairs, d'un destin sans écueil,

Pour un seigneur bâtard, pour la gloire et l'orgueil.

Nombreux sont revenus, guerriers du déshonneur,

Ou soldats va-nu-pied accablés de chaleur,

Ne trouvant plus de bouge et de puits charitables

Pour s'effondrer ravis dans ses bras d'eau potable!...

 

Vraiment la fontaine n'appartient à personne,

Pas même au temps qui fuit lorsque les cloches sonnent.

Alors, arrêtez-vous! Passants de bonne école!

De jour comme de nuit et buvez sa parole!

Écoutez de vos yeux, regardez des oreilles,

Embrassez ses printemps couleur de joues vermeilles.

C'est la récréation qui frappe et joue des mains,

C'est encore une enfant, la sœur de tout refrain.

Et ce n'est qu'en hiver, quand le froid nous agresse,

Dans sa robe blanche qu'elle se fait sagesse.

Se ridant, esseulée, son pupitre se glace

Devant la neige blême et les pas de nos traces

Qui s'en vont titubant, la course en demi-teinte,

L'impression effarée de croiser une sainte.

 

 

 

Modifié par Frédéric Cogno
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