~ Les commentaires sur les sujets sont uniquement visibles des membres de notre communauté ~
Rechercher dans
  • Plus d’options…
Rechercher les résultats qui contiennent…
Rechercher les résultats dans…

Doit contenir au moins 3 caractères.

Aller au contenu

Le jazzman


Eathanor

Messages recommandés

Ses doigts courent le long du saxophone. Les filaments de lumière des lampadaires rebondissent sur le laiton de l’instrument, dansant au rythme des ondulations du musicien. Des badauds s’attroupent. Certains s’arrêtent le temps d’une musique, d’autres se laissent aller à égrener les minutes, oubliant pour un temps leur destination.

 

Le jazzman solitaire voit son public grossir. Il ferme les yeux, laisse son imagination glisser sur les notes. Il n’est plus dans une rue, mais sur la scène. Oublié son vieux chapeau-feutre posé devant lui où résonne parfois le tintement d’une pièce, effacé le souvenir de sa maîtresse la nuit dernière. Il fait chanter ses rêves. Son souffle coule en flots d’octaves et de quintes. Il navigue sur une rivière de sons dont il creuse le lit avec patience avant de faire exploser en cascade les arpèges. Chaque vibration de l’anche sur la facette du bec éclate en feu d’artifice sonore dans les oreilles de son auditoire.

 

Des gouttes de pluie viennent s’écraser sur un bitume chauffé par une chaude journée d’été. Il continue à jouer, capturant chaque parcelle du paysage urbain pour la rehausser d’un manteau de mélodie. Au loin, le tonnerre gronde sourdement. Le vent se lève et les quelques gouttes deviennent averse. Les badauds se ressaisissent rapidement de leurs chapelets temporels et s’éparpillent. Le jazzman reste seul sur son bout de quai de Seine. Son chapeau-feutre détrempé s’affaisse. Toujours, le saxophone continue de chanter. Les doigts agiles sautillent de clef en clef. Le vent qui s’engouffre sous le Pont Neuf en mugissant est son chœur ; la pluie tombant sur les pavés, sa rythmique.

 

Il est seul avec sa musique. Un passant téméraire pourrait bien s’arrêter, il ne verrait pas les larmes scintiller aux coins de ses yeux. Car ses émotions s’accordent au registre de sa mélodie. Qu’elle soit grave, médium ou aiguë, elle enlace son âme.

 

Et ce soir, même s’il ira boire seul son café au comptoir du troquet du coin, même s’il passera la nuit sous un pont, abandonné sans prévenir par une maîtresse qui aimait sa musique à défaut de l’homme qu’il est, le jazzman se couchera heureux, rêvant à la musique de ses lendemains.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

×
×
  • Créer...