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Mon dernier anniversaire


Joailes

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La première fois que j'ai vu les monstres, j'ai fait quatre pas en arrière et je me suis cogné le plus petit orteil que j'avais, dans l'angle de la vieille commode qui avait déjà bien fait rire Louis XVI.

Ma cuisine avait rétréci, ou j'étais devenue géante, ou l'inverse, comme dans certains films que j'avais visionnés au club des pipelettes du village où mes collègues m'avaient inscrite de force.

Ils étrennaient ce soir là un super robot-épluche-lave- mix-cuit qui faisait tout et qui allait économiser bien du temps, ils étaient contents, mais je m'en foutais pour deux raisons. 

Une, j'avais mal à l'orteil.

Deux, j'avais envie d'aller dormir dans mon lit, celui de mes noces et où j'ai mis au monde mes petits.  

 

J'ai trouvé que c'était un drôle de repaire, ils avaient confisqué mes repères.

 

De loin, ces monstres me paraissaient effrayants, avec des boutons partout, des accessoires dans des housses en film ultra violets, des masques, un peu comme des sacs poubelles mais en plus violet et plus hypnotique.

Je n'osais approcher. Quelqu'un me poussa dans le dos, des voix se mirent à chanter happy birthday to you, je me demande encore pourquoi puisque je suis française ; mais j'ai réalisé soudain , en voyant ma cuisine, le film plastique et la commode de Louis XVI (qui riait beaucoup moins) prendre feu, qu'il fallait sauver le soldat ! (c'est mon chat) et fuir !

 

Dans mon oreillette, heureusement, le traducteur a dit joyeux anniversaire avec une voix de pâtissier alors en une fraction de seconde, j'ai compris.

Toutes ces bougies !

Ça devenait dangereux d'être vieux.

 

Ils disent que j'ai des absences, pourtant je suis toujours là, présente et c'est eux qui me semblent absents.

Je me trompe de couloir et je me retrouve dans les cuisines de la cantine, je cherche ma timbale-tisane au coin de mon fourneau et je vois les monstres qui ont tout envahi, alors je pleure et on vient me chercher doucement, ça me rappelle quelque chose, mais je n'arrive pas à l'attraper, comme le ballon dans le manège, ce souvenir fugace qui me fait encore mal, quand l'enfance remonte et redescend …

Alors je le laisse s'échapper et je me sens mieux.

Quelqu'un va me tendre une barbe à papa. 

L'orgue de Barbarie m'entraîne ... 

 

Dans la salle, ils ont accroché des ballons, c'est joli, avec un happy birthday to you découpé dans du crépon de couleur, mais il est tard, ils sont couchés ou alors n'ont pas pu venir, il n'y a personne, il ne reste que Hildegarde.

Elle a mis la cassette d'un de mes anniversaires, mais je ne suis pas dupe, elle est truquée.

Elle avait envie de dormir.

Pas moi.

Elle a encore bu dans ma timbale où je ne manque jamais de dissoudre mes cachets pour le soir.

 

J'ai combattu les monstres de nuit, les chariots qui grincent et emmènent les remèdes aux grands-mères, alors que c'est elles qui les ont fait passer,  les robots de cuisine qui se moquaient de ma vieille tasse en étain sur le rebord de mon fourneau 

et ces masques grotesques de cire …

Tout a pris feu, les ballons, le crépon et cette image d' Hildegarde a disparu sur le rebord de la fenêtre dans les flammes en bêlant hap joy bir eux day …

J'ai retrouvé ma petite cuisine qui sentait bon mes souvenirs et le soldat qui m'attendait sur le pas de la porte, en me tendant les bras.

Il avait des roses rouges sur tout son costume.

Je me souviens maintenant : c'est mon anniversaire.

Ce fut le plus beau.

(J.E. Petites histoires ordinaires – juillet 2019)

 

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