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A mon Bernard, l'ermite


Joailes

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Bernard était bavard et collectionnait les buvards

en loques, équivoques

il faisait parler les taches d'encre

 

au fond des abreuvoirs 

où s'abreuvaient les saints Bernard.

ses chiens,

et puis les seins de Madame Bernard,

sa chienne

 

Submergé par tout son petit bazar

il devint moins bavard et prit du ventre,

 

les buvards lui avaient tant parlé

c'était eux, les bavards, qui collectionnaient les Bernard

sous leurs vilaines taches d'encre

 

le pauvre Bernard fut submergé bientôt

de trop de tâches barbares

et même les seins de madame Bernard

ne le faisaient plus baver

 

bernard, bourru, mourut d'un rhube de cerbeau.

les courants d'air

dans une barbe noire,

c'est notoire,

sont mortels dans les couloirs numides,

berbères.

 

Personne ne s'aperçut de son absence

pendant très longtemps

et puis un jour,

sortit un géant 

du néant

« Le grand bazar de Bernard » 

 

Là, sur le boulevard,

au nez et à la barbe de chacun et surtout de tous,

le bon vieux bar, le bouge,

l'infâme tripot de madame Bernard,

le boulanger, les bouchers de père en fils,

le barbier n'en parlons pas

et même le berger

s'étaient barrés

 

ça avait fait des trous comme les bombes en font

mais avec l'habitude, personne n'a rien dit.

 

C'était pas du tout joli comme l'océan

un soir de janvier sur la corniche

quand le cœur palpitant, tu t'en fiches …

 

Un hypermarché était né

incroyable, quand bêbe …

 

Je m'étais enrhubée dans ce boulevard tout troué

je me tordais les pieds et le cœur dans les tranchées ;

 

j'ai voulu en avoir le cœur net

j'ai marché au gré du hasard

aux conditions de ce bazar,

 

dans la galerie marchande où l'on ne marchandait plus,

je ne reconnaissais personne

j'ai trébuché

sur un tapis volant.

 

Tout au fond d'un vieil atelier

tapissé de buvards et plein de taches d'encre

j'ai reconnu Bernard

c'était lui à n'en pas douter

avec pignon sur rue

 

paraît que quand on est riche

on peut commander une bouteille de liqueur de fraises à trois heures du matin à la réception d'une nuit cinq étoilée …

 

Mais alors, on n'est plus ermite, Bernard, bégayai-je …  

 

Devant le divan, en plumes d'oie, le tapis couleur fraise et surtout toutes ces étoiles … j'ai cédé.

 

Il me disait c'est une suite

et je pensais à la mienne.

 

Quand Bernard s'endormait, j'avais dix bonnes heures devant moi.

Il dormait comme un fœtus.

 

Bernard ne m'a répondu que bien plus tard, un siècle je crois, et quelle délicatesse … sur un buvard rose, frisé de jolis pleins et déliés.

 

Paraît que quand on est ermite,

on peut commander un poème comme ça, à trois heures du matin et il arrive par la fenêtre et ça ne coûte rien,

dans le langage des taches d'encre Bernard était très fort

il m'a laissé des messages.

 

 

En regardant l'immense néon du bazar

j'ai eu un grand coup de cafard

et le vertige

j'entrai dans le bazar zen, sans conviction.

 

j'ai même fait semblant de ne pas le voir

mais c'était bien le corps de bernard

 

pendu entre le a et le z

 

il était trois heures du matin

et on n'a pas pu faire grand-chose

sauf commander deux douzaines de roses

au grand bazar de Bernard.

 

Mon ermite enterré,

dépassé par la vitesse du vent,

je suis allée enlever toutes ces fleurs

en plastique sur son beau corps évanescent

 

Mon rhume m'avait quittée

Bernard aussi

et cette nuit-là, pourtant semblable aux autres,

le grand bazar de Bernard a brûlé

le boulevard s'est mis à ressembler

à un monde hagard

dans la fumée, dans le brouillard

 

l'ermite dans la foule

m'a lancé ses buvards roses

pour la seconde fois.

 

Paraît que quand on est mort,

on peut avoir des roses sans même les commander

on peut danser sur ses propres pieds 

 

ici y'a du bazar, du désespoir

mon pauvre Bernard !

 

Ton nom dans le néon

tu ne l'as pas supporté

t'es parti dans le néant

en passant par la case mouchoirs

et buvards …

 

 

je déchiffre tes taches d'encre

sur tous les buvards roses.

(J.E. Avril 2019)

 

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