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le saule pleureur


Mohè

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lI y a, sous le saule, posés là, comme déposés, et qui pleure, les branches frôlant l’herbe et là rivière qui encercle le domaine de La Casa de Arti, deux petits pieds dans de petits chaussons brodés, deux petits pieds recroquevillés et un visage minuscule caché dans ses bras dorés. 
Ayla a six ans et deux semaines et elle aussi, elle pleure, doucement, la rivière récoltera-t-elle son sel ? Elle pleure sur ses souvenirs de gâteaux à la framboise, qu’elle mangeait aux doigts, et de l’assiette en terre cuite qu’elle léchait comme les chatons lampent le lait, elle pleure en pensant qu’elle ne le refera plus. Son papa avait mis sur la table en bois des bougies de toutes les couleurs, ça allait bien avec les guirlandes qu’elle avait accrochées aux arbres, elle s’était éraflée les genoux et c’était ça le bonheur, maman souriait en récitant la liste des invités, elle riait sous le soleil ; toute la famille et les amis faisaient le voyage pour les six ans d'Ayla. Elle en était fière, elle s’était tressée les cheveux toute seule avec un peu de lierre dedans, elle avait mis une robe blanche avec ses sandales et son papa l’appelait son ange. C’était une belle journée de juin, et sous les oliviers la maison se parait d’ombres. 
Ayla renifle sous le saule et personne ne la voit, pas même le soleil, à l’abri sous les feuilles. Les feuilles du saule pleureur qui caressent presque la terre craignent-elles de mourir ? Elles sont si proches du sol, déjà presque, dessus, dedans, presque racines. Personne ne voit la petite fille de six ans écrire dans la terre, du doigt, de la boue sèche sous les ongles, des mots d’adultes. Des mots qui éteignent le soleil et font pourrir les plantes, des mots qui polluent l’eau, infestent la nourriture, disloquent les organes, des mots qui deviennent sève rance, poison, baies toxiques. 
Papa et maman, elle les entend de loin, elle qui cultive ses plants de tomates lui qui fredonne des chants venus d’ailleurs, elle les entend rire un peu et Ayla pense qu’elle ne sera plus jamais leur petite fille. 
Pourquoi les framboises ? Pourquoi le sorbet citron qu’on lèche innocemment et qui colle un peu aux doigts ? Et la salamandre, qui dormait sur les marches de pierre, paisible, comment pouvait-elle être si pleine de lumière et de nuit à la fois ? 
Ayla regarde le linge flotter doucement, il y a son pantalon jaune qui sèche et aussi la petite culotte bleue. Elle a envie de vomir mais ne veut pas salir, elle se retient. Elle a peur maintenant, de manger, d’avoir mal au ventre, de devoir sourire derrière la nausée,  Ayla regarde dans le ciel bleu sa culotte bleue sur ses fesses les bleus aux poignets aussi un peu. Ayla ferme ses yeux, les index qui poussent fort, les lumières qui sous ses paupières dansent, on dirait des fleurs étranges, des fleurs qui poussent dans la tête - des fleurs de jungle aux noms anonymes pour ses pensées de petite fille et pourtant, est-elle une petite fille avec sa culotte bleue et ses taches de sang ? 
Il avait voulu jouer dans le jardin, faire de la barque, se promener un peu dans les sous bois lui parler des plantes que l’on mange et celles que l’on ne mange pas, papa avait bu et maman discutait avec mamie, les ventres étaient pleins les sourires flottaient on les voyait dans la lumière des bougies et des lampions et le soleil n’était pas tout à fait enfui, Ayla avait voulu jouer dans le jardin faire de la barque se promener un peu dans les sous bois qu’on lui parle des plantes que l’on mange et de celles que l’on ne mange pas ; elle avait demandé est-ce que je peux aller ? dis maman ? papa ? Il avait pris sa main dans la sienne, une noisette dans une paume, une petite main, minuscule, avec de la boue séchée sous les ongles, et la sienne grande et légèrement moite, la moiteur d’un humus, quelques poils bruns sur les premières phalanges. Tu as des poils sur les doigts, elle lui avait dit ça, elle riait elle trouvait ça tout à fait inouïe que l’on puisse avoir des poils à cet endroit du corps, comme papi avait des poils dans le nez, des poils gris comme ceux d’un âne ou d’un chien. Ils sont allés jouer dans le jardin faire de la barque, petite princesse, se promener un peu dans les sous bois, qui mange comme une cochonne, avaient parlé des plantes que l’on mange, petite fille qui lèche les assiettes, est-ce que tu aimes bien quand je te fais ça ? Ça chatouille ? Ils avaient parlé des plantes que l’on ne mange pas, lèche comme ça, attention à tes petites dents, elle les avaient blanches, il les avaient un peu jaunies par le tabac, tachées par le vin, Ayla regardait ses dents tout du long qui se découvraient de ses lèvres quand il la découvrait, ses dents beiges et nues sous l’acide du sourire, ils s’étaient promenés dans les sous bois et sa main dans son ventre et son sexe dans ses fesses, elle avait pleuré quand son rouge avait coulé sur ses jambes, on ne lèche pas les assiettes petite cochonne, une petite fille comme toi, la nuit est tombée on n’y voit plus rien, sèche tes yeux, il s’essuyait les mains dans l’herbe, de son sang, de son minuscule corps, il faut aller dormir maintenant, tu veux que je demande à ta maman de te border ? je resterais à côté jusqu’à ce que tu t’endormes, tu leur raconteras à tes parents d’accord ? les plantes que je t’ai apprises, comme tu es contente d’avoir godillé sur le lac, le slalom entre les nénuphars ? 

Il y a, sous le saule pleureur, proche du ruisseau encerclant le domaine de La Casa de Arti, deux petits pieds recroquevillés et un visage minuscule caché dans ses bras. 

Ayla a six ans et deux semaines, elle a la peau dorée, les genoux écorchés, et elle écrit au doigt, dans la terre, que le sang coule, des tâches brunes dans la culotte bleue qui sèche, se souvient-elle ? elle écrit qu’il ne faut pas manger les framboises, on ne lèche pas les assiettes, les plantes comestibles, que son tonton parfois l’aime trop et que ça lui fait mal, que ça lui fait mal encore maintenant, à l'intérieur, dans son sexe et dans ses fesses, dans son ventre, et dans ses poumons, son foie, ses reins, son cœur, dans son âme, elle écrit au doigt dans la terre, une confidence ; elle sait pourquoi le saule pleure. 

Modifié par Mohè
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