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Dans les champs


Joailes

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C'est dans les champs de mines que j'ai appris à marcher. Chaque pas était dangereux.

Et ça n'a pas changé.

Il y avait des champs de fleurs et une institutrice que j'aimais presque autant que ma propre mère ; de jolies écoles rougissantes avec des préaux où je dessinais à la craie des marelles pour les jours de pluie ; les salles de classe sentaient si bon la cire, le bois et l'encre que c'était comme des champs de fleurs avec le joli sourire de l'institutrice et sa robe de coquelicots en filigrane sur mon premier tableau noir.

Sous mes semelles il y avait de la terre et parfois de la boue et ça sentait bon l'automne ; du sable et du varech et puis des éclats de pas de nacre aux étés insouciants, dans les roses et les premiers bleus quand venait le printemps, de la neige et des brindilles noires la longue nuit d'hiver où tout s'enterre dans le silence de mort.

Mes semelles saisons n'étaient pas dans l'ordre, j'avais mis mes chaussures à l'envers.

Des fois levée du pied gauche, j'ai dû avancer du pied droit.

Ça a dû me porter bonheur, quelquefois.

Et j'ai toujours emmené avec moi les parfums pour le souvenir. 

Je continue de marcher.

Mais sont passées les saisons,

les champs de fleurs sont toujours minés.

Les institutrices sont parties, parfois les mères aussi.

Sous mes semelles il y a des crachats, des chewing-gum, des crottes de chiens, des kilomètres inutiles et puis des trous à force de marcher sur ces pavés de rues sales aux maisons borgnes et je suis seule dans une ville de quelques trois cent cinquante mille âmes qui crient en silence. 

Je n'ai plus la force de sauter sur la marelle et d'ailleurs j'ai perdu le caillou que je poussais du pied.

Chaque pas est dangereux, il y a toujours une mine derrière.

Et ça n'a pas changé.

J'aimerais tant marcher dans un champ de blé, pieds nus !

Et ce rêve, dans mon champ de vision, me mine.

Pourtant, au loin, je vois encore des coquelicots.

Sous mes semelles, leurs pétales rouges. 

(J.E. Février 2019)

 

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