Partager Posté(e) 1 février 2019 Cette nuit-là … Cette nuit-là, je suis presque sûr d’avoir senti la peau glacée d’un tentacule autour de mon cou. Réveillé en sursaut, j’ai arraché à deux mains l’appendice visqueux qui m’étouffait et je l’ai lancé contre le mur de chaux. Alors, j’ai plongé dans un sommeil sans rêve, et j’ai oublié… A neuf heures, la chaleur m’a réveillé. J’ai entendu le rire des pêcheurs de *Jozip, occupés à réparer leurs nasses à langoustes, comme tous les matins de grande marée. J’ai décidé alors de les rejoindre sur la plage. En m’avançant vers la porte de la case, j’ai failli glisser sur un amas poisseux, gris et blanc.Je me suis penché et j’ai reconnu le corps gélatineux d’un poulpe. Une lueur de vie sembla un instant sourdre de ses yeux éteints.Je l’ai pris délicatement et je suis sorti précipitamment pour le rendre à la mer. Le vieux Roch et son fils ont suivi des yeux ma course pour la vie. Je suis sûr qu’ils m’ont vu disparaître, tendant à bout de bras une offrande à l’océan tranquille. Je sais qu’ils ont vu le tourbillon improbable qui m’a englouti, je le sais, mais depuis mon retour, ils ne me l’ont jamais dit. Dans les abîmes obscurs, le poulpe sembla renaître. Il voguait tranquillement à présent, toujours plus profond, créature féerique, fragile, presque irréelle et pourtant bien vivante. Son tentacule blessé enroulé à mon poignet, il m’entraînait très loin dans un monde inquiétant et noir. Cependant, je ne pensais à rien, j’acceptais sans résistance l’appel des grands fonds. Dans une volte- face soudaine, était -ce lui qui me saisit de ses ventouses par la taille ? était-ce lui qui m’obligea à me courber puis me poussa à travers un écran translucide de méduses éthérées ? Je ne puis l’affirmer. Je le crus un instant, depuis je ne le pense plus. Tout ne fut alors que lumières d’un monde sous-marin inconnu. Une musique rapide puis lente puis sourde accompagnait le ballet incessant d’étranges mollusques drapés et la danse lumineuse de murènes blanches aveuglées. De saisissants coraux pourpre, indigo et verts caressaient de leurs filaments le flanc de mille poissons transparents. Dans l’immensité, des milliers d’yeux clignaient, des milliers d’étincelles étoilées brillaient. Alors, dans un coin de ce vaste monde, une cavité vertigineuse et blanche sembla m’appeler. Mon guide avait lâché depuis longtemps –je ne peux dire quand- son étreinte et je le pensais naïvement retourné à ses herbes marines. Je disparus, emporté par un fort courant dans un tunnel aux confins opaques. Je compris alors que le monde quitté figurait un sas et qu’enfin j’allais entrevoir le pourquoi de ce si long voyage. Ce que je vis alors, dans ce gouffre illuminé où les eaux m’emportèrent, dans ce gouffre éclairé de la terre sous la mer, je le garde à jamais secret. Ce que je vis alors, dans le miroir de ces eaux claires, reflet de mon sourire inquiet, je l’offre à l’éternité : Ferme tes yeux, pose tes angoisses, accepte ton destin mortel Regarde au plus profond de toi, la Vérité est là, Eloigne le poulpe aux multiples bras, Crois en l’autre et crois en toi. Je jaillis de l’eau dans l’improbable tourbillon d’un océan tranquille. Le sable de la baie de Chateaubriand crissa sous mes pas rapides. Un tricot rayé bleu et blanc s’enfuit devant moi. Je vis au loin le vieux Roch et son fils assis en tailleur, très occupés à réparer leurs *pézipez sous les palmes. J’ai eu envie de leur faire signe mais ils riaient trop fort. Penchés sur leur labeur, je crois qu’ils ne m’ont pas vu. Mais que faisaient à *We ces hommes de *Josip ? J’ai plongé alors dans un sommeil sans rêve mais je n’ai pu oublier… · * We, Josip : villages de Lifou *Pezipez : Nasse à langoustes en Drehu (langue de Lifou, Île Loyauté . Nouvelle-Calédonie) 1 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites Plus d'options de partage...
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