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Gratitude


Papy Adgio

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Au printemps mille neuf cent quatorze, l’archiduc François Ferdinand s’en fut à Sarajevo expliquer au peuple serbe un tantinet grincheux que l’été serait chaud.

 

Dans la foule qui le huait, se pressaient les sept nains dont le plus rétif avait des principes. D’un geste emphatique, il étripa par inadvertance l’occupant de passage et fit du hachis de duc.

 

Au mois de juillet, on manqua un peu de sang froid si bien que d’injures en insultes, l’Europe en vint aux menaces et aux exhibitions de biceps démesurés.

 

Début août, la France bomba ses pectoraux. La troupe défila en ordre strict sur les boulevards parisiens. De garance et gris bleuté, les fantassins, fantasques et fantasmagoriques, assénèrent du pas cadencé sur le pavé surchauffé.

 

Les brodequins claquèrent, les jambières tressautèrent, les képis cahotèrent, les cartouchières s’émoustillèrent au rythme rapide des télégraphes qui morsaient et démorsaient les préparatifs de la France française.

 

Autrichiens, hongrois, germains, souabes et slovaques n’avaient qu’à bien se tenir! A vendanges ils seraient rétamés et les gaulois revigorés fouleraient dans la gaité du retour le raisin mûr de la victoire !

 

Verticales et fières, les baïonnettes rutilaient au soleil de midi, à l’assaut des trilles musclés des clairons et du rythme assuré des tambours sonores. La foule reconnaissante applaudissait des deux mains et encourageait de la voix.

 

Une Marseillaise endiablée ricochait de trottoirs en trottoirs. Paris épaulait ses pioupious, leur gonflait le plastron, leur emboîtait le pas, leur transmettait son énergie.

 

Partout de la liesse, partout de la patrie, partout de l’enthousiasme.

 

Sauf sur le boulevard du Montparnasse.

 

Là, sur la terrasse de la Rotonde, attablée devant des flots de vins blancs et rouges, la manne bohème ricanait à l’ordonnancement méthodique de la force déployée comme à la niaise envolée de la foule franchouillarde.

 

Car aucun n’était français.

 

Ils étaient peintres, poètes, sculpteurs, photographes et avaient choisi la dèche pour vivre leur art.

 

Tous étaient artistes.

 

La plupart anarchistes.

 

Les autres, rien du tout.

 

Tous avaient choisi la France qui leur permettait de s’épanouir au creux d’une marge où l’on confondait parfois modèle et maîtresse, compagne et compagnon, eau de seltz et eau de vie…

 

Dos aux quolibets, la foule en extase fit volte-face. Ses chants se muèrent en injures qui conseillaient aux métèques de retourner chez eux !

 

On s’aperçut alors que l’hospitalité ne sied pas toujours aux heures martiales !

 

Les moqueurs étaient suisses, italiens, hollandais, hongrois, russes, suédois ou juifs. Il ne manquait qu’Apollinaire l’apatride qui enchantait Paris de ses vers ondulants.

 

Alors on fit sans lui.

 

Blaise Cendrars, l’helvète énigmatique harangua ses comparses. Avec véhémence, il martela que la France accueillante et débonnaire avait besoin qu’on l’aide. Que, de nouveau libre et fière elle saurait être reconnaissante.

 

On se toisa.

 

On s’interrogea du regard.

 

En silence.

 

Puis on parla. Les débats s’enflammèrent. Longtemps.

 

On cria. Beaucoup.

 

On but. Suffisamment.

 

Puis, on écrit. On lut, on ratura, on réécrit.

 

On relut. On signa. On applaudit.

 

 

Le lendemain, « l’appel aux étrangers vivant en France » s’étala dans la presse.

 

Il s’afficha sur les murs de Paris.

 

Les bohèmes lui emboitèrent le pas et patientèrent dans les files d’attente des centres d’engagement.

 

Guillaume n’était toujours pas là. Il signait ailleurs son engagement.

 

Puis tous s’égaillèrent dans le saupoudrage des fronts.

 

Cendrars, le suisse ombrageux en Champagne où un obus querelleur lui sectionna une main…

 

Canudo, l’italien enjôleur en Macédoine,..

 

Czaki, le hongrois taciturne en Orient…

 

Sarluis, le hollandais hâbleur un peu partout ...

 

Apollinaire resta cloué devant Berry au Bac. Il lévita longtemps entre vivants et morts.

 

Ceux-ci revinrent et découvrirent le graal qui prit forme de nationalité française.

 

Les autres ne connurent que l’oubli.

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