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Un Poilu venu du Pays des dunes


Ouintenabdel

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       Il était là, loin des siens, dans cette campagne malheureuse rongée par le froid et les trombes d’eau, face à un ennemi presque invisible. A l’instar de ses compagnons d’armes, il moisissait dans cette tranchée, un vrai trou à rat, creusé dans cette terre belle, grasse, rendue néanmoins laide et ingrate par des prétendus sages dans une guerre bête à pleurer.  

         Il avait quitté son oasis pour ce continent lointain où des hommes pourtant nourris de lumière et d’intelligence avaient eu raison de la raison, s’entre-déchirant, semant la ruine et la désolation  pour une question de territoire à reconquérir.

          Il eût pu déserter, ne pas se soumettre. Cette guerre ne le concernait ni de loin ni de près, c’était une guerre entre blancs, entre Européens. Or, lui, il venait d’un autre continent et sa peau, quoique blanche, n’avait pas ce teint lilial et lactescent propre à ces hommes, ses compagnons d’infortune à la foi desquels il n’adhérait certes pas mais avec qui il partageait les sentiments qui anime toute personne engagée dans une guerre : le courage et aussi la peur de mourir. Ses camarades l’avaient affublé du surnom d’Oasien car il leur parlait souvent de son oasis natale, lovée au cœur des dunes. Il leur parlait aussi du travail de la terre, du puisage de l’eau  dans un puits que son aïeul avait creusé avec une corne de bélier sous les dards ardents du soleil du désert.      

         Il était maintenant loin de son oasis, de ses palmiers sveltes au faîte desquels pendaient des régimes de dattes savoureuses dont le miel se mêlait au beurre du soleil. Il était  loin de ses brebis, de ses chèvres qui bêlaient joyeusement saluant la naissance du jour et se taisant à la tombée de la nuit. Il était loin de son verger où,  après le puisage, une besogne éreintante, assis à croupetons, il se délectait à voir  l’eau lascive se mouvoir en chantant à travers les séguias  Il irriguait son jardin au clair de lune. On entendait le coassement de grenouilles auquel se mêlait le  grésillement des libellules. La nuit respirait à pleins poumons. Le verger exhalait des senteurs exquises : odeurs de menthe, de basilic et de marjolaine qui s’épandaient dans l’air auroral.

        En fait, il savait qu’il allait au biribi. On lui avait donné une tenue militaire, un manteau, des godillots, un casque, une gamelle et un fusil dont il ne lui était pas permis de se départir ni de jour ni de nuit.

       Et ce fut le départ pour l’inconnu ; il y avait eu d’abord l’antre du bateau où s’entassait cette chair à canon, ces hommes mobilisés malgré eux pour une cause qui ne les concernait pas au premier chef.  Du bastingage, on voyait une vaste mer moirée. Vagues qui moutonnaient, crêtées de lys et de jasmin ! Au terme de la traversée, le port de Marseille sur les quais duquel armes, hommes et vivres, mêlés, offraient une vision kaléidoscopique.

       À peine eut-on mis pied à terre qu’on fut dirigé vers des wagons de troisième classe ainsi que des moutons de Panurge. Direction le front. Le train filait à toute vapeur dans un raffut de métal, on eût dit un saurien cyclopéen. Il s’échappait de la locomotive couverte de suie une volute de fumée noire interrogeant un ciel peu serein. Campagne bruyante, désertée par les oiseaux, infestée de bêtes en acier dévorant tout sur leur passage, des bêtes crachant du feu et du fer !

      Une nuit, entre veille et sommeil, las de moisir dans son trou sordide, le soldat oasien crut entendre un clapotement d’eau, un bruit pareil en tout point à celui qu’émettait cette onde cristalline qui, lascive,  courait, dans les séguias de son jardin lointain. Il se rappela soudain ce coin de verdure  auquel il vouait une passion immodérée. En effet, il adorait son jardin comme on adore une femme.

      Pareil à un somnambule, le fantassin du Sahara escalada une échelle en bois vermoulu, abîmée par la pluie et le froid. Il était enfin hors de la tranchée. Il jeta un regard circulaire autour de lui. On ne voyait presque rien dans cette nuit d’encre. Sous un ciel lugubre, aveugle, sans la moindre étincelle astrale, la campagne excoriée par le froid et aussi par le feu et le fer étendait alentour son incommensurable mélancolie. On devinait, dans les ténèbres, des arbres aux branches décharnées se dressant çà et là, on eût dit des squelettes de revenants jaillis de la terre, cette terre arrosée de sang et de larmes. Le soldat du désert écarquillait les yeux pour mieux distinguer cette nature lugubre qu’égayait néanmoins le chant aussi mélodieux que mystérieux d’une source très proche. Comme dans un rêve éveillé, on entendait toujours le clapotement de l’eau.  Le Poilu des dunes tâtonnait dans le noir. Soudain, le bruit de l’eau se fit plus perceptible. Cette eau salvatrice, il la sentait toute proche, elle courait entre les herbes, à deux doigts de ses godillots. Il fit quelques pas dans le noir, les mains tendues devant lui. Il s’abaissa cherchant dans l’obscurité cette onde si précieuse. Il la sentit enfin glisser entre ses doigts, une eau cristalline qui avait échappé aux souillures de l’homme. Il se vautra, son front touchait presque le sol. Il tendait les lèvres vers cette onde claire qui serpentait dans les ténèbres fuligineuses. On eût dit qu’il priait.

      Au loin, on devinait une ligne formée de sacs de sable d’entre lesquelles des mitrailleuses pointaient leur gueule hideuse. Soudain, il y eut des coups de feu, et, concomitamment, en une parfaite synchronie, on vit des tâches vermeilles éclabousser la nuit : une mitrailleuse venait de cracher sa bile rouge garance en direction du valeureux soldat prosterné comme dans une dernière prière. La rasade de plombs le maintint dans cette posture de soumission à Dieu. Il baignait dans une mare de sang chaud qui se mêlait à l’eau de la source. Il ne bougeait plus, son âme, noyée dans les senteurs de la terre, s’envola vers le ciel où des anges la virent franchir le seuil d’un vaste jardin céleste que d’aucuns appellent paradis.

 

 

 

 

 

 

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