Il pleut toujours dans la rue des martyrs

[Joailes]

Il pleut dans l'immeuble de la rue des martyrs. Le sous-sol est inondé, le vent s'engouffre sans gêne par les lucarnes et les cafards font des rondes dans les escaliers. On ne peut pas toujours écrire que le ciel est bleu et que demain sera un joli dimanche de mai pour commencer un texte.

D'ailleurs, le tableau n'est pas si noir, vous allez le voir.

 

Ici, il n'y a que des artistes, et ils sont toujours en extérieurs.

C'est ça ou sous les ponts, ils préfèrent sous les toits, il y fait plus chaud et ils sont plus près du ciel.

Les artistes aiment la nuit, les étoiles rentrent dans leur chambre et parfois la lune accepte d'y faire une discrète visite, alors ils trinquent un petit coup pour les voir un peu plus longtemps. Ils sont heureux d'être maudits. C'est leur essence.

Les animaux sont strictement interdits, le loyer est strictement obligatoire, bien que modéré, on ne peut tout avoir.

Parfois, en période de chance, pendant la canicule, il y a l'eau chaude, mais c'est rare.

Il y a plutôt l'eau froide. Beaucoup.

 

Une femme a vécu là dix ans, elle était poète et sirène.

Nul ne l'avait jamais vue, mais d'aucuns l'ont vue descendre sur une civière un jour, on a dit qu'elle serait relogée en mieux, mais elle était tellement immobile … on a dit qu'elle était ingrate.

A ce moment là, elle s'en foutait vraiment de ce qu'on pouvait dire d'elle, puisqu'elle avait entamé son voyage au-dessus des toits avec tous ses poèmes sur les bras.

On a bien vu tous ces fils d'or qui montaient au ciel pour former, en lettres de feu …

son prénom et son numéro de sécurité sociale.

On a tout vu, les bouches étaient cousues.

C'était si joli tout ce feu !

Sinon, c'est la routine.

Il pleut toujours dans la rue des martyrs.

(J.E.Novembre 2018)

Modifié 27 novembre 2018 par joailes