Acqua Tofana

[Vespertile]

Un flacon de cristal qui reflète les anges,

Rehaussé par endroit d’améthyste et d’agate,

Retient tel un secret des eaux couleur de fange

Comme un parfum mortel écoulé d’une rate.

 

Malgré son bouchon d’or où se tient une gemme,

Vaste joaillerie couronnée par l’orgueil,

Ainsi que ses parois d’une clarté extrême

Pareils à des vitraux qui sont plaisants à l’oeil,

 

Cette macabre fiole a de mauvais desseins ;

Composée d’herbe au diable et d’infâme arsenic,

Elle hallucinera comme de charmants seins

Avant de s’attaquer aux poumons pathétiques.

 

Comme un poignard gelé, le poison se déplace

En faisant émaner de vieux vomissements,

Et son infusion lente, mais jamais lasse !

Accompagne la mort d’un long rugissement.

 

Âme sans coeur, voici la terrible ciguë,

La toxine d’aspic, le venin de vipère

De ma mélancolie ! décadence ambiguë

Qui transfigure une âme en des monceaux de terre !

 

Tu es le créateur de ce fatal sirop,

Femme de la tristesse et des insanités !

Plutôt que d’élever mon coeur avec tes mots,

Tu voulus le remplir avec des saletés !

 

Tous ces concepts ; l’amour, la beauté saine et juste,

Les règles, les valeurs, ainsi que la raison,

Je les ai vénérés, mais ce temple est vétuste,

Aucun d’eux ne se met en travers des saisons.

 

Dans un ardent courroux j’ai brisé la bouteille,

Le Mal ayant conquis toute la décennie. 

Je ne peux m’endormir car la folie réveille ;

Du vénéfice amer l’éternelle agonie !

 

Je sens les pierreries, comme un éclair des cieux,

Se fendre et s’entasser parmi le calcin froid ;

Tes arômes létaux et pourtant merveilleux

Ont préféré périr au cours de mes émois.

 

Puissent mes regrets lourds faire fondre tes yeux

Afin que leur liqueur saigne d’autres que moi !