~ Les commentaires sur les sujets sont uniquement visibles des membres de notre communauté ~
Rechercher dans
  • Plus d’options…
Rechercher les résultats qui contiennent…
Rechercher les résultats dans…

Doit contenir au moins 3 caractères.

Aller au contenu

Brouillard en novembre, l’hiver sera tendre ou Les divagations paraskevidékatriaphobiques d’un trentenaire


Margueritte Cèdre

Messages recommandés

 

Mais quelle triste idée avait-il eu de se proposer pour cette quête, dérober le fer de la licorne ? Il faut dire que la conjoncture, calendaire et astronomique, ne se reproduirait pas avant 10 ans. Pensait-il conjurer le sort qui s’attachait à son prénom ? Maudit calendrier ! Et ce n’est pas les incantations prononcées par le pseudo druide qui se dandinait en psalmodiant de façon monocorde autour du dolmen vikéia, pasethor, ataïvara, skorapie, vikéia, pasethor, ataïvara, skorapie, vikéia, pasethor, ataïvara, skorapie, qui allaient emprisonner les sortilèges qu’il était susceptible de rencontrer sur son chemin !

 

Voilà, il lui fallait quitter le village. Maintenant. Le 13 à 13 h 13. Et le pire ! Un vendredi 13. Encore heureux que l’année 1313 n’arrivera que dans 10 ans. Mais, peut-être que ce voyage lui donnerait le sentiment d’exister ? Peut-être qu’il rencontrerait l’odalisque de ses rêves ? Chassant cette idée pouvant le détourner de sa quête, il passa en revue les aliments qu’il pouvait emporter.

 

Oh ! pas grand-chose, car il devait se nourrir par ses propres moyens. Il avait réussi à dérober au pâtissier un opéra et au boucher un bon gros saucisson. En chemin, il attraperait un lapin, il en ferait un civet qu’il parfumera à l’origan et aux lépiotes, qu’il ramassera certainement. Quoique, à cette époque de l’année, les coulemelles, elles étaient cueillies et mangées depuis bien longtemps. Quant au sel ! Il en avait plein les poches. Normal, avec ça il allait pouvoir fustiger tous les ennemis qu’il allait rencontrer. Trêve de balivernes.

 

Ça y est. Le voilà parti. Adieu les valses, adieu les passe-temps. Brusquement, il se sentit apatride.

 

Il vérifia qu’il n’avait pas oublié les boules de sorcières que dame Vouivre lui avait offertes à l’aube de ses 20 ans, lorsqu’il était allé prendre son bain de purification à la fontaine. La tentation de refuser avait été grande, mais il s’était rappelé qu’on ne refusait pas le cadeau de Dame Vouivre, qu’elle en serait profondément blessée. Il avait frémi à l’idée qu’elle pourrait le hanter et lui envoyer ses fantomatiques vampires. Il les avait alors cachées dans sa chemise, là tout près de son cœur, et il comprenait maintenant le pourquoi de ce cadeau.

 

Après avoir marché tout l’après-midi, accompagné des trilles des fauvettes, il s’arrêta dans une des nombreuses clairières qui parsemaient la forêt. Il mangea puis installa sa couche, une couverture faite de fibres de kapok, s’allongea, se recouvrit de son kabic et se mit à rêver à sa journée. Il passa en revue tous les animaux qu’il avait vus, un véritable bestiaire, plutôt insolite !!! Des libellules, des chevaux, des albatros, des cacatoès. Mais ce qui l’a le plus surpris c’est ce chat noir qui l’avait suivi jusqu’à ce qu’il s’arrêtât dans la clairière. Et toujours pas de licorne.

Il allait s’endormir quand un grattement près de son oreille attira son attention. Il avait oublié la coccinelle porte-bonheur que sa grand-mère lui avait donnée avant de partir. Il se mit alors à observer la lune luisant à la traverse du chêne. Elle semblait se faire engloutir par le brouillard de novembre qui commençait à se répandre dans le ciel et sur la terre. Ce spectacle, digne d’un vidéaste chevronné, éveilla en lui des paroles et il se voyait héros chanté par les ballades qu’Aphrodite, la reine des odes lyriques de son village, savait si bien interpréter. Malicieuse, mélodramatique, mélancolique, ses paroles et sa voix de miel illuminaient le cœur des habitants du village. En musicienne avertie, elle savait improviser des rhapsodies comme venues du fond des âges. Rien que d’y penser, il tressaillait de plaisir.

 

Il s’endormit dans la nuit soudain taiseuse.

 

Le lendemain, il reprit sa course, habité de pensées les unes plus étranges que les autres. Sans savoir comment, il arriva près d’un tertre, surgi là comme par un coup de baguette magique dans un éclat de soleil si tendre pour l’hiver qu’il ne savait plus en quelle saison il était. Un juron s’échappa de ses lèvres au moment un basilic énorme jaillit du sommet et s’élança vers lui, planant dans un vaste mouvement circulaire qui lui parut l’éternité. Oubliant les recommandations du druide, il ne put s’empêcher d’admirer la robe jaune safran du reptile. Trop tard. Le basilic l’avait transpercé de son regard.

 

Paralysé, mais non métamorphosé en pierre, car les boules de sorcières le protégeaient, il se retrouva juché sur un catafalque, lui-même transporté par un chariot qu’un cocher au museau de chat noir menait. Envahi par un océan de terreur, questions et images ne cessaient de fuser dans son esprit. Il se voyait déjà enterré dans un mausolée, orné de sphères et d’ouvertures ogivales. Brusquement, le temps s’arrêta.

 

Devant lui, une immense échelle qui s’élançait haut vers le ciel. Le phare de la liberté, pensa-t-il. Au pied de l’échelle vulnéraire et trèfles à quatre feuilles s’épanouissaient, l’invitant à surmonter sa phobie. Au sommet de l’échelle, la licorne, bijou resplendissant de lumière et, diamant dans un écrin d’arc-en-ciel, le fer brillant comme la lune dans sa pleine vérité.

 

Ce spectacle inattendu, époustouflant, le rendit aphone. Comment rejoindre la licorne ? La coccinelle lui murmura d’utiliser son olifant. Surmontant la peur viscérale qui le paralysait encore, il prit le cor d’ivoire qui pendait à sa ceinture. Il sonna trois fois. À la troisième fois le charme fut rompu et la licorne lâcha le fer qu’il rattrapa avec adresse. Il put voir une larme s’échapper des yeux de l’unicorne qui, déchue, quitta l’échelle d’un bond sublime, le fit monter sur son dos et le…

 

Dring… dring… dring… Brice se réveilla en sursaut. Dans sa main, la photo du basilic qu’il avait photographié lors de son dernier séjour en Croatie. Il s’était endormi en regardant ses photos de vacances. Vacances qu’il s’était octroyées juste après la fin du déconfinement. Soulagé de constater que ce n’était qu’un rêve, il se leva de bonne humeur.

 

Oui, après la pluie, le beau temps…

 

Il alla prendre sa douche et, en revenant, aperçut au milieu de son bureau, enchâssé dans une boule de sorcière que gardaient un chat noir et une coccinelle, un fer qui n’était pas un fer à cheval.

 

Après la pluie le beau temps ?

  • Merci 3
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

×
×
  • Créer...