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Histoire vraie


Joailes

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Hier soir j'ai étranglé ma colocataire sur le coup de dix-neuf heures douze.

Je venais de tomber sur le point de non-retour, l'heure où je vois rouze *(1)

 

Elle m'avait fait bouillir tout l'été -je l'avais appelée canicule, c'est dire !- mes cheveux étaient hérissés, le coiffeur avait donné son congé et dans la grande baie vitrée je voyais son image de poupée écervelée et mal coiffée.

Elle m'avait menti sur son parcours ; elle disait qu'elle avait le sens de l'humour, que la vaisselle elle savait faire et qu'elle aimait écouter les oiseaux chanter en lavant son linge dès l'aube, à l'heure où rougissent les crêtes de coq.

C'était du toc.

Elle laissait tout traîner, ne faisait jamais la cuisine, ni le ménage ; elle avait cassé trois ouvre-boîtes en ouvrant des conserves.

 

Ô sacrilège, moi qui connaissait les secrets de l'épluchage et du mijotage amoureux, - les mamelles de la France - j'avais des éruptions de boutons en la voyant s'acharner sur des boîtes de cassoulets douteux.

 

Elle avait une voix de crécelle, ne descendait pas la poubelle et ne s'extasiait jamais devant rien ;

elle fermait les volets sans voir la douleur du ciel quand la nuit l'occupe ; en plus elle n'aimait pas la poésie.

Moi, je n'aimais pas la couleur de ses jupes.

Elle n'arrosait jamais les plantes et pourtant sa goutte d'eau -de toilette- fit déborder mon vase qui ne supportait pas les odeurs autres que celles du maquis sauvage.

C'était un vase de Bohême habitué aux beautés de la vie, il s'est fêlé en la voyant ainsi.

 

Tout est dit.

 

J'ai dû prendre à grosses doses des tisanes roses pour faire durer ma patience ; le suicide de mon psy n'a rien arrangé, je me suis sentie abandonnée.

 

A-t-il fallu qu'elle me pousse à bout pour que je la plonge dans l'eau qui bout quand je fais mon homard à l'armoricaine -ce qui n'est pas de veine, car je ne le fais qu'une fois l'an, et ça tombait ce soir là - j'aime pas qu'on me dérange et encore moins qu'on mélange, qu'on ne respecte pas mes épices.

Elle a fondu comme une poupée de caoutchouc, l'alarme a sonné, un voisin aussi,

« ça va, madame Aymeroyi ? »

je lui ai répondu « ben oui, et vous aussi ? Pas de merguez, ce soir ? »

Il a ri couleur harissa et est reparti vers sa smala, rassuré.

Quant à moi je me suis congratulée.

Je me disais que j'avais rendu service à un éventuel pauvre naïf qui aurait pu partager la vie de cette colocataire pourtant venue du paradis ; il aurait ainsi vécu l'enfer avec elle qui, de toutes façons, serait devenue grabataire vu qu'elle ne se bougeait pas beaucoup le derrière sauf pour faire du vent

-après les cassoulets, pensez!-

et distribuer des pommes qu'elle ne savait même pas éplucher pour offrir à un homme.

 

J'ai tout jeté dans les égouts débordants du mois d'août ou, peut-être, d'autres colocataires attendaient leur tour, subissant le fameux burn-août qui fait tant de victimes, tellement loin des cimes …

 

Le homard rougissant a dégluti et m'a remis son étoile de shérif.

Il m'a dit : « Tu veux que j'appelle le docteur Jivago ? »

Et on s'est mis à rire, parce que c'est un code entre nous.

 

Nous sommes très complices, on se tape sur les cuisses et les écrevisses sont toujours crues.

On ne tue pas beaucoup, juste quand ça devient indispensable et qu'on sent bien que le marchand de sable commence à déserter.

L'insomnie, c'est terminé, supprimons ces minables !

 

Quand je raconte cette histoire, tout de suite j'entends sur les paliers « ça y est elle a encore inventé  une vraie histoire» et ça me sert, ainsi qui pourrait me soupçonner d'avoir cuit ma colocataire ?

Les voisins sont ravis et ne peuvent que me féliciter ; la colocataire était temporaire, ils m'ont pardonnée de ses travers.

 

Je pense déjà à mes travers de porc, me remémore la recette et prépare les ingrédients.

Quel bonheur de n'être pas végan* (2)  !

 

Tout le monde est content.

 

Le chien a remué la queue et j'ai bien vu dans ses grands yeux qu'il me jurait fidélité à jamais.

Les cochons ont sauté de joie et voilà, ni vu ni connu je t'embrouille, l'espace est revenu.

Dans la cuisine mijote une ratatouille.

Les abeilles viennent faire leur cire sur le buffet et la table, les chaises confortables et le parquet.

Et tout reprend sa place on n'aura droit qu'à une glace par semaine, mais ça en vaut la peine !

 

Je me serrerai la ceinture, mais tant pis, je ne partagerai plus mon nid.

Dans ma robe de bure, je perce les yeux de la nuit.

 

Je dégonde les volets et les découpe en bûchettes, bientôt nous ferons la fête sans que personne ne sache pourquoi, mais nous, on sait.

 

Quel bonheur que le silence, la solitude et le chat qui ronronne ; un bref instant, un petit remords vient me chatouiller : elle avait trois mois de retard de loyer.

Maintenant … c'est mort.

Tant pis, je paierai.

La tranquillité n'a pas de prix. *(3)

 

(joailes – septembre 2022

 

* (1) voir rouze : c'est comme rouge, mais à dix-neuf heures douze

*(2) végan : certes pas le descendant de l'homo protéine 

* (3) pas de souci, une fois de plus, j'ai un bon alibi.

 

  • Rire 4
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